Friday, 29 de March de 2024 ISSN 1519-7670 - Ano 24 - nº 1281

Robert Solé

‘Cette année, pour parler des Nobel, on n´a même pas attendu la saison des prix. En plein mois d´août, Günter Grass défrayait la chronique en révélant qu´il avait été enrôlé dans les Waffen SS à l´âge de 17 ans. Deux semaines plus tard, la mort d´un autre lauréat de littérature, Naguib Mahfouz, mettait le monde arabe en deuil.

Entre ces deux événements, c´est… Nicolas Sarkozy qui s´est distingué. En visite aux Etats-Unis, le président de l´UMP rendait hommage, dans Le Monde daté 10-11 septembre, à ‘un pays qui, en matière d´intégration, montre l´exemple : la moitié des Prix Nobel y sont d´origine étrangère’. Ce qui a fait bondir plusieurs lecteurs, dont Françoise Guérard (Paris) : ‘C´est la totalité de ces Prix Nobel qui est d´origine étrangère, comme l´est d´ailleurs la quasi-totalité de la population de ce pays. Il serait bon d´ajouter que ladite intégration, tout à fait réelle, profite essentiellement aux Blancs. Combien y a-t-il de Prix Nobel noirs, disons afro-américains pour être politiquement correct ?’

La cuvée 2006 a confirmé en tout cas la suprématie des Etats-Unis, puisque des Américains (blancs) ont raflé les prix de médecine, de physique et de chimie. Et, pour couronner le tout, l´académie Nobel a distingué les travaux d´un autre compatriote de George Bush, l´économiste néokeynésien Edmund Phelps.

Mais pour avoir présenté celui-ci, à deux reprises, comme ‘le lauréat du prix Nobel d´économie’, Le Monde s´est fait taper sur les doigts par plusieurs lecteurs pointilleux. ‘J´aimerais rappeler que le prix Nobel d´économie n´existe pas et que c´est par abus de langage qu´on qualifie ainsi le ‘prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d´Alfred Nobel’, écrit Laurent de Galembert, de Puteaux (Hauts-de-Seine). L´économie n´a pas été incluse dans la liste des prix Nobel, tout simplement parce qu´à l´époque cette discipline n´existait pas. Le nom du lauréat est d´ailleurs gravé sur la tranche de la médaille, et non sur l´avers de celle-ci, comme pour les autres prix.’

Un lecteur de Comines (Nord), Christophe Maillard, avance une autre explication ainsi qu´un commentaire dont je lui laisse la responsabilité : ‘Alfred Nobel a exclu des récompenses distribuées par sa fondation deux disciplines : les mathématiques, parce que l´amant de sa femme était mathématicien, et l´économie, parce qu´il doutait que cette matière fût réellement scientifique, ce qui prouve que l´inventeur de la dynamite avait un solide bon sens. Tels les médecins de Molière, nos économistes ont inventé un dialecte, noyé leurs ouvrages sous des tonnes d´équations, tracé de superbes courbes… pour se tromper imperturbablement et systématiquement dans toutes leurs explications et toutes leurs prévisions.’

Le palmarès impressionnant des Etats-Unis inspire quelques remarques acides à Jean-Louis Caccomo, maître de conférences en économie à l´université de Perpignan : ‘Il a belle allure, le déclin américain, périodiquement annoncé (souhaité ?) par nos intellectuels en lutte… La France devrait se mobiliser à l´ONU pour demander que soient appliqués des quotas dans l´attribution des prix Nobel reflétant plus justement la diversité culturelle dans le monde. Mais les astrophysiciens, chimistes, biologistes ou économistes du monde entier qui veulent travailler sérieusement (avec des moyens réels) et librement (en toute indépendance, car une science manipulée n´est plus une science), où trouvent-ils meilleur asile si ce n´est aux Etats-Unis ?’

En jargon journalistique, les prix Nobel sont un ‘marronnier’, c´est-à-dire un sujet qui revient tous les ans, comme la chute des feuilles à l´automne. Des lecteurs semblent nous y attendre de pied ferme.

‘Chaque année, les médias français se trompent, écrit Guy de Faramond. J´espérais que ce ne serait pas le cas du Monde… Le prix Nobel de la paix est attribué par un comité norvégien au sein du Parlement norvégien, et non par un comité suédois, comme vous l´écrivez dans Le Monde daté 15-16 octobre. Pourquoi ? Parce qu´en 1896, quand Nobel a écrit son testament, la Suède et la Norvège formaient une Union et avaient le même roi. Nobel a voulu que les Norvégiens aient, eux aussi, un des prix à distribuer.’

Ce Nobel de la paix 2006 a été décerné, comme on le sait, à… un économiste : le Bangladais Muhammad Yunus, créateur de la Grameen Bank, une institution qui offre des microcrédits aux exclus du système bancaire et a permis depuis trente ans la réinsertion sociale de plusieurs millions de personnes.

Le Monde rappelait que, en 2005, Muhammad Yunus avait été ‘nominé à la fois pour le Nobel d´économie et le Nobel de la paix’. Ce qui m´a valu un ‘appel au secours’ d´un fidèle lecteur, Rajesh Rawat : ‘Je ne suis pas français, mais j´aime la France et je suis amoureux de la langue française. Ce ‘nominer’, qui est employé de plus en plus souvent (par snobisme ‘anglais’ ?) au lieu de ‘nommer’, ‘désigner’ ou ‘proposer’, m´exaspère et me choque profondément.’

En effet, on est ‘nominé’ partout désormais : au Festival de Cannes comme à la Star Academy ou aux Nobel… Toujours est-il que Muhammad Yunus est passé à l´étape suivante, et le prix 2006 qui lui a été attribué suscite des commentaires enthousiastes.

Deux chercheurs – Marc Roesch (Cirad), qui est en poste à l´Institut français de Pondichéry, en Inde, et Isabelle Guerin (IRD) – se montrent pourtant très réticents devant le choix du comité norvégien. ‘Le microcrédit, écrivent-ils, améliore la gestion du budget familial et stabilise des petites activités entrepreneuriales, et, en cela, il est fort utile. Mais il ne lutte pas contre la pauvreté et il ne peut pas y prétendre.’

Non seulement l´essentiel de cet argent est utilisé pour des dépenses d´urgence (santé, alimentation) qui ne créent pas de richesse, mais le microcrédit ‘peut créer de l´endettement et inféode les pauvres aux systèmes financiers’. Il ne peut être qu´un complément à des actions publiques volontaristes de réduction des inégalités qui, pour le moment, font largement défaut. ‘En sacralisant le microcrédit, affirment nos deux chercheurs, en l´érigeant comme outil au service de la paix, le jury du Nobel consacre une vision ultranéolibérale de la justice sociale.’

Sans entrer ici dans ce débat, constatons que si le prix Nobel de la paix 2006 a été décerné à un économiste, le prix Nobel de littérature, lui, a pris une coloration politique : le Turc Orhan Pamuk, poursuivi dans son pays pour des positions déviantes sur les massacres des Arméniens, a été consacré au moment où la controverse sur le génocide battait son plein… Les frontières s´estompent. Il faut croire que tout est dans tout, plus que jamais.’