Friday, 19 de April de 2024 ISSN 1519-7670 - Ano 24 - nº 1284

Robert Solé

‘Après la parenthèse de l´été, Le Monde retrouve sa configuration habituelle.
Et donc, dans ce numéro, la page Futurs, qui était l´une des innovations
introduites en novembre 2005. Objectif (ambitieux) : ‘Montrer où et comment
s´inventent les objets, les idées et les comportements de demain’.


Rien n´est plus étranger à un quotidien d´informations générales que la
prospective : son rôle, par définition, est de rendre compte précisément de ce
qui s´est passé la veille, et non de ce qui pourrait survenir dans cinq, dix ou
trente ans. Définition étroite, cependant, alors que le décryptage de
l´actualité occupe une place grandissante et suppose de l´anticipation.
Comprendre le monde d´aujourd´hui, c´est aussi savoir dans quel sens il va.


Un journal fait en permanence de la prévision à court terme, essayant de
saisir comment évolueront les chiffres du chômage, qui sera le prochain
président de la République, ce que pourront faire les soldats des Nations unies
au Liban… Anticiper des évolutions plus lointaines ne va pas de soi. Invités à
la rigueur, sommés de vérifier leurs informations, les journalistes sont
réticents à s´aventurer sur des chemins incertains.


Pour installer la rubrique Futurs, il a fallu faire preuve de volontarisme,
en dégageant un espace particulier, distinct de la section Environnement &
Sciences. On avait initialement envisagé de publier une page quotidienne, mais
il a paru plus raisonnable de s´en tenir à une parution hebdomadaire, dans le
numéro daté dimanche-lundi.


Cette rubrique a été confiée à une journaliste au parcours atypique : Laure
Belot, 39 ans, ingénieur chimiste et diplômée de l´Ecole supérieure des sciences
économiques et commerciales (Essec) qui est entrée au service Entreprises du
Monde en 1998 après avoir été conseillère en stratégie dans l´industrie privée.
Elle ne prétend pas lire dans la boule de cristal. ‘Nous cherchons, dit-elle, à
déceler des signaux faibles qui peuvent avoir un futur et une signification.
Essayer humblement de détecter des tendances pour savoir de quoi demain sera
fait.’


N´ayant évidemment pas les moyens de faire lui-même de la prospective, Le
Monde va à la rencontre d´inventeurs, de chercheurs ou d´analystes porteurs de
nouvelles façons de penser. Et il le fait avec les outils du journalisme :
enquêtes, interviews, reportages, portraits…


La rubrique Futurs s´intéresse à toutes les disciplines, des sciences ‘dures’
aux sciences humaines (philosophie, sociologie…), en passant par l´économie et
la culture. Elle en est à sa trente-sixième parution. Au fil des semaines, elle
nous a fait part de certaines recherches très pratiques, sur le point d´être
commercialisées. Michelin, par exemple, étudie un pneu sans air qui nous
épargnera les crevaisons (Le Monde daté 11-12 décembre 2005). Un jour prochain,
il sera possible de trouver exactement chaussure à son pied grâce au scanner (Le
Monde daté 25-26 juin).


Parmi les autres nouveautés à l´étude, susceptibles de nous faciliter la vie
: des opérations chirurgicales ne laissant pas de cicatrices (15-16 janvier) ou
des ordinateurs capables de se réparer tout seuls (27-28 novembre 2005). On peut
s´interroger en revanche sur l´utilité réelle de semelles vibrantes qui
empêcheraient de tomber (26-27 février) ou même, dans un tout autre registre,
sur des gratte-ciel qui atteindraient mille mètres de hauteur (19-20
février)…


‘Le futur n´est pas une foire aux gadgets ou un concours Lépine permanent’,
souligne Eric Fottorino, directeur de la rédaction. Il s´agit chaque fois de
s´interroger sur le sens d´une innovation : à quoi sert-elle ? Que révèle-t-elle
? De la page Futurs, on attend des choix pertinents, qui nous éclairent sur le
monde en marche, ses espérances et ses folies.


Au printemps, notre correspondant à Londres, Jean-Pierre Langellier, faisait
état d´une installation séduisante, élaborée par un ingénieur britannique, Peter
Hughes : ‘Imaginez sur la chaussée un ralentisseur de vitesse d´un genre
particulier : trois plaques de métal articulées. Chaque véhicule qui roule
dessus les met en mouvement du seul fait de son poids et, par la grâce d´un
ingénieux mécanisme souterrain, déclenche un générateur qui produit de
l´électricité gratuitement…’ (Le Monde du 27 mars).


Cet article a laissé perplexe un lecteur de Nouméa (Nouvelle-Calédonie),
Raymond Ribot : ‘Avant d´éclairer la ville, éclairez-moi…’ Suivait une
démonstration technique, qui se terminait par une question : ‘L´ingénieur
britannique ne vient-il pas de réinventer une autre forme de mouvement perpétuel
? Pense-t-il vraiment que l´on peut obtenir de l´énergie gratuitement ?
L´énergie récupérée par ce coûteux dispositif ne peut provenir que du carburant
utilisé par le moteur pour mouvoir le véhicule. Ne serions-nous pas déjà au 1er
avril sans que je m´en sois rendu compte ?’


Il a été répondu à notre lecteur que, bien entendu, l´énergie récupérée par
le dispositif provient du carburant utilisé par le moteur. Celui-ci ne consomme
pas davantage qu´un ralentisseur classique. Le terme ‘gratuit’ était une façon
de souligner que cette perte d´énergie mécanique de la voiture est transformée
alors que, sans ce dispositif, elle aurait été ‘perdue’…


Je ne sais pas si M. Ribot a été satisfait de cette réponse. Toujours est-il,
comme le souligne Laure Belot, que la rubrique Futurs se risque à parler de
prototypes : ‘Cet exemple anglais nous a paru intéressant parce qu´il illustre
une tendance : aujourd´hui, on réfléchit au moyen de récupérer, d´une façon ou
d´une autre, de l´énergie et la transformer.’ Il est d´ailleurs question dans ce
numéro du Monde du ‘retour du charbon’ comme solution à la crise énergétique
annoncée.


La page Futurs aborde des domaines moins techniques, et donc encore plus
incertains. Que se passera-t-il exactement ‘quand les Etats s´adresseront aux
cyber-citoyens’ (7-8 mai) ? Quel est ‘l´avenir de la guerre comme méthode de
règlement des conflits’ (23-24 avril) ? On n´est pas dans la science-fiction. Le
futur est déjà là, comme le soulignait le philosophe Yves Michaud à propos des
mutations artistiques (21-22 mai) : la vidéo a introduit dans l´art occidental
la beauté fragile des choses qui passent, l´irisation d´une goutte de pluie, le
tremblement d´une feuille… Mais, face aux écrans, le public sera de plus en
plus amené à interagir, passant de la pure contemplation à une tout autre
attitude.


L´avenir s´invente souvent par des inconnus, qui travaillent sans tapage. Pas
facile de les débusquer. Mais Le Monde compte des lecteurs spécialisés dans tous
les domaines. Pourquoi ne nous feraient-ils pas bénéficier de leurs informations
ou de leur savoir ?’