Tuesday, 23 de April de 2024 ISSN 1519-7670 - Ano 24 - nº 1284

Robert Solé

LE MONDE

"Tenue de plage" copyright Le Monde, 7/9/02.

"Eecit-on au Mondesur la plage, entre deux bains de mer ? Ou plutôt par temps de pluie, calfeutré dans sa chambre d?hôtel, tandis que le ciel se déchaîne ? Toujours est-il que le courrier ne s?interrompt pas en été. Mais ce sont peut-être les non-vacanciers qui prennent la plume, plus enclins que d?autres aux récriminations.

?Soyons bref en ces temps de canicule, m?écrivait le 30 juillet un lecteur-internaute, André Daudet. Ma baguette de pain pèse 200 g et vaut 0,61 euro, comme au début de l?année. Le Monde, lui, valait 1,20 euro pour 40 pages le 1er janvier. Aujourd?hui, il coûte toujours 1,20 euro, mais pour 20 pages. Cherchez l?erreur.?

Rien n?interdit de juger cette lettre très positive. Comparer Le Monde à la baguette, quoi de plus flatteur ? M. Daudet parle, dans les deux cas, de son pain quotidien… Mais il n?est pas le seul à protester. Ecoutons Albert Coquil, de Saint-Martin-des-Champs (Finistère) : ?J?habite une région où paraissent chaque jour deux quotidiens régionaux, Ouest-France et Le Télégramme, qui, du 1er juillet au 31 août, non seulement ne réduisent pas leur pagination mais l?étoffent… Avec Le Monde de l?été, j?ai l?impression de me faire avoir.?

Chaque été, en effet, Le Monde change d?allure, modifiant sa taille et son contenu : moins de pages et davantage d?articles ?magazine?. La plupart des suppléments hebdomadaires disparaissent, pour laisser place à des séries, des grands reportages ou des ?uvres littéraires. L?an dernier, par exemple, le journal avait emmené ses lecteurs en Sibérie, leur avait présenté l?esprit des monuments de Paris, des ateliers de peintres, de grands guides spirituels et l?univers des jeux vidéo. Cette année, il leur a offert, entre autres, huit nouvelles inédites, six portraits d?excentriques, un voyage le long du fleuve Congo, une série sur les anciens métiers, une autre sur les appellations d?origine contrôlée… bref, un menu aussi diversifié que possible, alliant le côté ludique, l?approche historique et la réflexion.

Trois raisons expliquent cette tenue d?été :

1. La diminution du volume de l?actualité. Il se trouve en effet que de nombreuses institutions, françaises et européennes, suspendent leur activité pendant les mois de juillet et d?août. L?information se réduit pour l?essentiel aux conflits internationaux, aux catastrophes et aux faits divers ;

2. La baisse de la publicité. Les annonceurs sont convaincus que la France est en vacances, que les journaux sont moins lus et que, de toute manière, les lecteurs sont peu réceptifs à la publicité durant cette période. Août ne représente que 20 % du chiffre d?affaires publicitaire d?un mois normal. La moitié de ce chiffre est d?ailleurs réalisé au cours de la dernière semaine. Or la taille du journal, chaque jour, est liée au volume de la publicité ;

3. La mutation des acheteurs. En vacances, les lecteurs changent non seulement de lieu de résidence, mais de rythme de vie, d?habitudes, de besoins… Il faut les accompagner dans leurs migrations, de plus en plus rapides, ce qui n?est pas facile car la France compte à elle seule 24 000 points de vente de journaux. Le mauvais temps est plutôt favorable à la lecture, à condition qu?il ne dure pas toute la journée, empêchant les gens de sortir. Rien ne vaut, paraît-il, une bonne averse, vers 16 heures, qui fait affluer les clients dans les maisons de la presse…

PARADOXE : les vacanciers disposent de plus de temps pour lire, alors que le journal est plus maigre (22 pages de textes en moyenne, contre 30 en période d?activité normale, en comptant les cahiers et suppléments). Henri Bonnet, lecteur de Saint-Denis-lès-Bourg (Ain), se demande si, en été, ?cet achat est justifié?. Il cite sa vendeuse de journaux, qui a l?air de partager son point de vue : ?En été, Le Monde devrait paraître un jour sur deux.?

En réalité, c?est moins la quantité que le contenu qui est en cause. La partie magazine ne s?étend-elle pas excessivement, au détriment de l?actualité ? ?Pourquoi publier des nouvelles ?, demande Henriette Lacroux, de Lorgues (Var). Il y en a plein les librairies. Nous comptons plutôt sur Le Monde pour nous informer au jour le jour sur tout ce qui se passe. Le reste de l?année, ses articles quotidiens sur les sciences et les arts, ses suppléments hebdomadaires, nous permettent de nous cultiver et de nous distraire. Nous n?avons pas besoin de ces ajouts estivaux.?

Voici pourtant un tout autre son de cloche : ?J?aime bien Le Monde parce qu?il arrive à me surprendre, écrit Bernard Pommel. On l?achète pour l?actualité, et l?on tombe sur une page consacrée aux araignées ou aux Essais de Montaigne.?Ce lecteur de Guyancourt (Yvelines) était à Hongkong en août. ?La veille de mon retour en France, raconte-t-il, j?ai vu dans les rues un spectacle curieux : au pied des gratte-ciel, des gens allumaient de petits foyers où brûlaient des offrandes alimentaires, de l?encens… et des billets de banque. Interrogée là-dessus, notre hôtelière parut gênée et ne répondit pas. Je désespérais de comprendre cet événement. Et voilà que Le Monde du 27 août, en dernière page, me l?explique…?

ON ne dira jamais assez la diversité du lectorat. Alors que Bernard Pommel conclut sa lettre en regrettant que le journal publie un supplément en anglais (?qui exclut bon nombre de lecteurs?), d?autres demandent quand reprendra le cahier hebdomadaire du New York Times. Réponse : dans le numéro daté 6-7 octobre. Au risque de peiner Catherine Girault, abonnée de Savonnières (Indre-et-Loire), qui ?se délecte chaque jour de la lecture du Monde? mais réclame… un allégement : ?La coupe est pleine de sport et d?anglais. La modernité technique ne pourrait-elle pas nous dispenser de suppléments aussi gourmands en papier ? Peut-on regrouper ceux d?entre nous qui n?aiment pas le foot et ceux qui ne souhaitent pas lire le New York Times, et leur faire des envois allégés ??

L?idée d?un Monde à la carte, adapté aux goûts de chacun, avait été sérieusement envisagée il y a une douzaine d?années lors de la mise en place de l?imprimerie d?Ivry. Sur le plan technique, elle n?était pas impossible : par un système de cahiers, on aurait pu offrir plus d?informations financières aux uns, plus de médecine ou de sport à d?autres… Mais, très vite, a prévalu l?idée qu?un journal n?a pas pour vocation de se transformer en modules : le pari est, précisément, de faire chaque jour un quotidien unique, assez riche pour satisfaire des lecteurs très différents, qui font confiance à ses choix.

Menu unique, donc. Etant entendu que l?actualité constitue toujours le plat de résistance, même en saison de plage."