Saturday, 20 de April de 2024 ISSN 1519-7670 - Ano 24 - nº 1284

Robert Solé

‘Oui ou non? Les lecteurs du Monde sont à l´image des Français : divisés, souvent passionnés et s´exprimant, à l´occasion du traité constitutionnel, sur mille sujets à la fois. S´ils nous écrivent, c´est aussi pour commenter la manière dont le journal couvre la campagne référendaire. J´en ai déjà fait état (Le Monde daté 24-25 avril) en indiquant dans quel esprit travaille la rédaction. Mais le courrier ne faiblit pas.

Passons rapidement sur les compliments. ‘Fidèle lecteur, bien que parfois critique, je tiens à vous féliciter pour vos articles de vulgarisation qui, chaque jour, clarifient un article de la Constitution européenne souvent confus, écrit Pierre Cazade, de Chatou (Yvelines). On pourra ainsi voter (favorablement en ce qui me concerne) en connaissance de cause.’ Il est permis d´imaginer que beaucoup de lecteurs partagent son avis sans éprouver le besoin de le faire savoir.

D´autres, très critiques au départ, connaissent d´agréables surprises. ‘J´étais consternée par le manque d´objectivité du Monde en ce qui concerne le référendum, affirme Geneviève Seyse (courriel). C´est pourquoi j´ai lu avec plaisir les récents articles sur Attac, qui rendent hommage au travail ‘de fourmi’ des militants de ce mouvement et au sérieux de leurs arguments. Merci de votre (nouvelle) objectivité.’

Car c´est bien ‘le manque d´objectivité’ que dénoncent, sur tous les tons, des lecteurs en colère. Il ne fait aucun doute pour François Rémy, de Viry-Châtillon (Essonne), que Le Monde s´est mis au service de ‘la pensée ouinique’ . Il signe ‘un lecteur (encore) fidèle’ . On ne peut en dire de même de Monique Macaux, de Douvres-la-Délivrande (Calvados), qui nous écrivait le 30 avril : ‘C´est fini, mon abonnement ne sera pas renouvelé. Votre édition d´aujourd´hui dépasse les bornes. Abonnée depuis 1964, j´ai toujours défendu Le Monde, y compris dans des réunions publiques. Viscéralement, affectivement attachée à ce journal, c´est la rage au coeur et la mort dans l´âme qu´aujourd´hui je le quitte.’

Les critiques de ces lecteurs portent d´abord sur les explications, analyses et chroniques signées par des journalistes du Monde. Pierre Plaud, de Montmorency (Val-d´Oise) dénonce ‘la soupe consensuelle en faveur du oui servie par la plupart de vos chroniqueurs’ . Sacha Kleinberg (courriel) écrit : ‘Je n´ai jamais eu la naïveté de penser que votre journal était neutre et sans ‘ligne’ politique, mais j´y trouvais toujours un équilibre nécessaire à l´information et à la réflexion démocratique. Je constate que vous avez rompu l´équilibre et donc le pacte implicite qui me liait à vous. Le Monde m´est devenu irrespirable. Soyez sûr que j´achèterai le numéro du 30 mai pour lire vos analyses pertinentes sur la victoire du non.’

Un autre lecteur internaute, François Munier, dénonce ‘le paternalisme et les explications pseudo-psychologiques’ dont auraient été victimes les adversaires de la Constitution. ‘En vous lisant, on a l´impression que ce sont des débiles qui cherchent à exprimer leur refus de tout autre chose. Pourquoi ne lit-on pas en parallèle des psychanalyses des partisans du oui?’

D´autres critiques concernent les tribunes libres. ‘J´attendais de mon journal qu´il donne autant d´espace aux partisans du non qu´à ceux du oui’ , dit Michel Fenayon, de Suresnes (Hauts-de-Seine). Plusieurs lecteurs se sont appliqués à compter et à classer les points de vue publiés au cours d´une semaine ou d´un mois.

J´ai fini par faire moi-même ce calcul, avec l´aide du service de documentation du Monde, sans le limiter à la page Débats. Sauf erreur, entre le 1er avril et le 12 mai, le journal a publié 15 points de vue favorables au oui et 6 favorables au non, 4 autres étant inclassables. Le Courrier des lecteurs a accueilli pour sa part 11 oui et 9 non. Quant aux entretiens avec diverses personnalités, ils se sont répartis ainsi : 21 en faveur du oui et 12 en faveur du non.

Un journal ne se fait pas à l´aide d´une calculette. Et l´équilibre n´est pas nécessairement arithmétique… Selon son habitude, la rédaction a sélectionné, au début de la campagne référendaire, les points de vue qui lui semblaient les plus intéressants et a interviewé les personnalités qui lui paraissaient les mieux placées pour parler de la Constitution européenne. Or celle-ci avait la faveur de la grande majorité d´entre eux. L´idée d´attribuer une place égale aux deux camps s´est d´autant moins posée que la frontière ne passait pas entre majorité et opposition, mais traversait les grands partis.

‘Vous nous présentez un débat entre partisans du oui de droite et partisans du oui de gauche, remarquait alors un lecteur de Villemoisson-sur-Orge (Essonne), Gilles Dao. C´est un peu comme si le journal vivait sur une autre planète, déconnecté des réalités, une oreille collée à l´Elysée et l´autre à la Rue de Solférino. Pendant ce temps, la France d´en bas, celle des ouvriers, des employés, des techniciens, des cadres, des enseignants, des agriculteurs, des chômeurs débat à bâtons rompus… On aimerait que Le Monde soit plus près des cages d´escalier et des salles communales, plus près des Français.’

Mais la tonalité du débat en France a changé peu à peu, pour s´organiser autour des arguments des défenseurs du non (le libéralisme, en particulier). Le oui s´est retrouvé en position défensive, accusé tout à la fois de diffamer ses adversaires en les traitant de non-Européens, de bénéficier d´une ‘propagande d´Etat’ et d´un ‘matraquage médiatique’ .

Face à la montée du non, Le Monde n´avait pas de raisons de renoncer à ses convictions, exprimées le 24 avril dans un éditorial de son directeur (‘Tous Européens’ ). Il a recherché cependant un plus grand équilibre dans sa couverture de la campagne. Ce souci est manifeste dans le hors-série de 32 pages, en vente depuis quelques jours, où chaque aspect de la Constitution européenne est commenté, avec le même nombre de lignes, par deux partisans du oui et deux partisans du non.

Des lecteurs sont néanmoins sensibles au moindre indice qui indiquerait ‘une partialité grossière’ ou une ‘mesquinerie sournoise’ , selon les termes de Jean Gillet (courriel). L´un d´eux avait fustigé la grille de mots croisés du 6 avril qui demandait un mot en trois lettres avec la définition suivante : ‘Pour ceux qui ne croient pas à l´Europe .’ La bonne réponse commençait par N… D´autres ont dénoncé la photo d´une réunion d´opposants à Paris, publiée dans Le Monde du 4 mai, qui montrait une salle à moitié vide, alors qu´elle était à moitié pleine.

Une lectrice parisienne, Claudine Madec, a même décelé une mauvaise intention dans l´annonce quotidienne du concours ‘Oui-Non’ , organisé par le journal. ‘Le O du oui, constate-t-elle avec indignation, est formé d´étoiles bien européennes ; rien de semblable pour le non, en simples caractères bâtons ; quant aux flèches habillant le oui-non, celle du oui va de l´avant, et le non pointe dans le sens opposé à celui de la lecture.’

J´avoue n´avoir rien vu, tout occupé à méditer sur la question nº3 de ce concours qui nous incite à faire parler les morts : ‘A la lecture de l´article II-73, qu´aurait voté Galilée au référendum sur la Constitution?’’