Tuesday, 23 de April de 2024 ISSN 1519-7670 - Ano 24 - nº 1284

Robert Solé

‘Son premier courriel a été envoyé le 24 août, en plein été. ‘Chers amis du Monde , voici quelques approximations pêchées dans le journal ces derniers jours…’ Suivait un relevé de phrases mal écrites, alourdies de mots inutiles ou employés de travers : ‘assigner’ au lieu d’affecter’ , ‘à la lisière’ au lieu d’à la frontière’ … Alain Mayor, lecteur d’Asnières (Hauts-de-Seine), concluait : ‘J’arrête pour aujourd’hui et retourne à ma vie normale.’ Ce n’était pas un adieu, mais un au revoir.

Ayant accusé réception de cette petite pêche, j’ai eu droit par la suite à plusieurs casiers remplis de poissons. ‘Ce sont souvent les mêmes, m’écrivait M. Mayor, parce que chaque lecteur a ses dadas. Ces fautes sont comme des bougies d’anniversaire truquées : vous soufflez, et elles se rallument aussitôt.’ En d’autres termes, vous avez beau les signaler, les dénoncer, elles reviennent immanquablement sous la plume de certains journalistes.

De guerre lasse, Alain Mayor a fini par rendre son tablier. ‘Je vais arrêter mon petit travail de traque dans Le Monde (ce qui ne veut pas dire arrêter de le lire !), précisait-il le 18 septembre. Dois-je penser que mes remarques, et celles d’autres psychopathes de mon espèce, ne sont jamais discutées en conférence de rédaction ? Qu’aucun mot n’est affiché dans l’ascenseur ou à la cafétéria du journal pour signaler ces petits travers permanents ?’

Il ne faut pas prendre Alain Mayor pour un obsédé de la langue française, ni pour un oisif qui passerait ses journées à pêcher dans l’encre du Monde . Ce directeur de productions cinématographiques n’a le temps de lire le journal que trois ou quatre fois par semaine. Mais, comme d’autres butent inévitablement sur les anglicismes ou les participes mal accordés, lui, il rencontre toujours les mêmes fautes.

Par exemple, l’emploi de la préposition ‘sur’ à propos d’une ville. Le Monde nous indique que ‘sur Paris, il y a dix-sept universités’ , que des manuscrits ont été ‘rapatriés sur Pékin’ ou qu’un agriculteur produit des pêches et des salades ‘sur la commune de Toulouges, près de Perpignan’ . Pourquoi cet horrible ‘sur’ ? Faudra-t-il le dénoncer par affichette… ‘sur ‘ la cafétéria ?

L’un des autres sujets de souffrance de M. Mayor est le verbe ‘rentrer’ , employé inlassablement à la place d’entrer’ . Cette incorrection grammaticale peut affecter le sens d’une phrase. Selon Le Monde du 10 septembre, Ioulia Timochenko, ex-première ministre d’Ukraine, ‘a annoncé qu’elle rentrait dans l’opposition’ . Question de notre lecteur : ‘Ioulia est-elle ‘entrée’ dans l’opposition, ce qui signifie qu’elle n’y était pas, ou ‘rentrée’, ce qui signifie qu’elle y retourne ?’

Un ‘r’ de trop, une lettre superflue… Le Petit Robert nous donne cette définition de la redondance : ‘Augmentation du nombre des caractères dans un message sans accroissement corrélatif de la quantité d’informations.’

Mais il y a d’autres moyens, plus redoutables, de manger de l’espace dans un journal : les mots inutiles. M. Mayor en a plein ses filets. Découvrant dans Le Monde une somme de ‘plus de 500 000 euros environ’ , il se dit qu’on pousse un peu loin la précision. Apprenant que le coût d’un traitement médical ‘est, en moyenne, de l’ordre d’une centaine d’euros’ , il commente : ‘Et encore, c’est relativement à peu près approximativement estimé !’

Le Monde du 1er septembre n’était pas obligé de faire dire au gouverneur de la Louisiane : ‘Avant cela, nous devons d’abord amener suffisamment de nourriture…’ De quoi énerver deux fois notre lecteur : ‘d’abord’ était superflu ; le journal confondait comme d’habitude ‘amener’ et ‘apporter’ .

Quand M. Mayor apprend que ‘les attentats du 11 septembre étaient intervenus dans un contexte de crise du marché de l’assurance en crise’ (14 septembre), il se dit qu’effectivement ça va mal dans l’assurance ! Quand il lit ‘des policiers déguisés en faux touristes’ , il se demande si des policiers déguisés en (vrais) touristes seraient moins efficaces. Devant des ‘photos de suspects potentiels’ , il s’interroge : ‘Un suspect étant déjà un coupable potentiel, s’agirait-il de coupables potentiels potentiels ?’

M. Mayor s’étonne de lire dans Le Monde qu’une personne a été ‘très grièvement blessée’ , alors que ‘grièvement’ signifie déjà très gravement. Cela se discute. Un pléonasme n’est pas toujours une faute : il vise parfois à renforcer le sens. Notre vigilant lecteur ne prétend d’ailleurs pas à l’infaillibilité. ‘Bien évidemment, m’écrivait-il, je ne suis ni Littré ni Grevisse, je peux moi aussi me tromper.’

Pourquoi ‘moi aussi’ ? N’aurait-il pas dû écrire : ‘Je peux aussi me tromper’ ? Cela également se discute…

La traque aux mots superflus ne devrait pas être l’affaire des lecteurs, mais des journalistes. Que d’adjectifs, d’adverbes ou d’incises inutiles ! Que de formulations compliquées ! A propos d’une émission de télévision, Le Monde daté 24-25 juillet parlait d’un secret de guerre étouffé pendant depuis presque soixante ans’ . Deux ou trois prépositions ou adverbes supplémentaires auraient sans doute rendu l’information plus précise…

Tout cela peut paraître anecdotique. Il y a plus grave : les phrases alambiquées, avec des subordonnées en cascade, qui rendent les articles incompréhensibles. Vous nous faites perdre notre temps ! écrit en substance un lecteur de Draguignan (Var), P. A. Ponomareff. ‘Les défaillances d’écriture sont de plus en plus fréquentes. Les constructions défectueuses font douter de la signification du texte et obligent à le relire par deux fois pour s’assurer que l’on ne fait pas de contresens.’

A la fin de l’année dernière, un lecteur de Bruxelles, Elie Vamos, nous avait reproché un extrait d’article, qu’il ne serait pas charitable de reproduire ici, avec le commentaire suivant : ‘Je suis peut-être stupide, mais j’ai dû relire cette phrase trois ou quatre fois et à des moments différents pour enfin croire que je l’ai comprise. Vos collaborateurs ne pourraient-ils pas se relire et s’efforcer à une écriture plus limpide (cf. Bossuet) ?’

Il ne s’agit pas d’arriver à des textes exsangues, incolores et sans saveur, qui seraient tous sur le même modèle. Concision et simplicité ne sont pas synonymes de pauvreté. Elles exigent souvent plus de travail que l’enflure et le délayage. Ce travail n’a rien de frustrant, au contraire. Supprimer, dans un article, tout ce qui l’obscurcit ou l’alourdit est un plaisir qui s’apparente au jardinage.

Il ne me reste plus qu’à relire cette chronique, encore une fois, pour l’alléger, la rendre plus directe, plus claire… Avec le même bonheur et la même gourmandise que la collecte d’informations. Sachant que des articles d’actualité, écrits à chaud, dans la fièvre du bouclage, ne peuvent pas toujours bénéficier de tels soins.’