Friday, 26 de April de 2024 ISSN 1519-7670 - Ano 24 - nº 1285

Robert Solé

‘Une lectrice parisienne, Françoise Guerard, est ‘littéralement tombée à la renverse’, mardi 10 janvier, en parcourant la ‘une’ du Monde. Un dossier de deux pages sur l’esclavage y était présenté ainsi : ‘Pendant plus d’un millénaire, les traites négrières occidentales déportèrent 11 millions d’Africains en vue de la colonisation des Amériques.’ Un millénaire… C’est-à-dire plusieurs siècles avant la découverte du Nouveau Monde ! Heureusement, il n’en était rien en pages 18 et 19 : ni dans les textes ni dans les titres.

‘Lapsus révélateur ?’, se demande un abonné de Perrigny (Yonne), Jean-Paul Rousseau. Aurait-on cherché inconsciemment à minimiser la longue tradition esclavagiste des pays africains et musulmans ? ‘Votre déni bien-pensant était fatigant ; il devient presque inquiétant’, écrit Anne Richardot (Paris).

De manière significative, plusieurs lecteurs qualifient de ‘titre’ cet appel (erroné). Il s’agit bien en effet de ce qui introduit un article, le qualifie et incite à le lire. ‘Je me suis précipité vers les pages 18 et 19, précise Charles-Emile Hubert (courriel). Une phrase aussi étonnante a atteint son but, puisque c’est le premier article que j’ai lu…’

Est-il besoin de souligner l’importance des titres ? Ce sont eux que l’on lit d’abord et qui donnent le ton d’un journal. Georges Laplace (Marseille) déplore qu’ils ‘ne correspondent pas toujours à l’esprit’ du texte qui suit. ‘Pouvez-vous, demande-t-il, me renseigner sur leur confection ? Est-ce l’auteur de l’article qui propose le titre ?’

Pas toujours. Nombre de journalistes du Monde ont pris l’habitude de livrer uniquement leur texte, ce qui ne facilite pas le travail de l’éditeur ou du chef de service. Un article est pourtant mieux conçu, plus ‘anglé’, quand l’auteur a le titre en tête…

Il s’agit, le plus souvent, d’un travail collectif. Trouver un titre peut demander du temps et donner lieu à une séance de remue-méninges (pour ne pas dire brain-storming). C’est l’un des plaisirs du journalisme, l’un des moments les plus inventifs de la vie d’une rédaction.

Autrefois, les longues phrases n’effrayaient pas Le Monde. On pouvait lire en première page des titres du genre : ‘L’Assemblée nationale accepte les recommandations de la conférence de Londres mais définit six principes qu’elle invite le gouvernement à faire prévaloir’ (18 juin 1948). La concision s’est progressivement imposée. On a même eu droit, ces dernières années, à des manchettes chocs de première page, qui se confondaient avec les affichettes destinées aux kiosques à journaux.

En abandonnant la manchette systématique sur une seule ligne, qui n’autorisait que cinq ou six mots, Le Monde s’est donné plus de souplesse. L’objectif n’est pas pour autant d’endormir le lecteur par des titres plats et sans saveur.

Chacune des trois parties du Monde nouvelle formule a une titraille particulière. Dans la première, consacrée à l’actualité, une typographie étroite permet des phrases informatives et précises. Dans la deuxième, appelée ‘Décryptages’, les titres sont plutôt courts, vifs et incitatifs. Dans la troisième, les titres des pages ‘Consommation’ se veulent simples, pratiques et ludiques, alors que ceux des pages culturelles varient selon qu’il s’agit d’informations ou de critiques.

Michel Debar, de Wépion (Belgique), se plaint de la taille excessive de certains caractères : ‘Ces titres dopés aux stéroïdes anabolisants donnent au Monde un aspect de sensationnalisme bon marché.’ D’autres lecteurs nous ont écrit dans le même sens, par exemple à propos de la première page du ‘Monde des livres’, mais, en général, quand on critique un titre, c’est parce qu’on le juge inexact, trompeur ou de mauvais goût.

‘Les couvre-feux sont approuvés par la majorité, acceptés à gauche’, annonçait Le Monde du 10 novembre 2005. Indignation de Paul Bouffartigue (Aix-en-Provence) : ‘La ‘gauche’ se réduit décidément pour vous au courant majoritaire du PS : son opposition interne, les Verts, le PCF, l’extrême gauche ne comptent donc pas ?’

Il suffit parfois d’un seul mot pour démolir un titre. Le Monde du 6 décembre 2005 indiquait : ‘Nicolas Sarkozy prend la défense d’Alain Finkielkraut’. Cette information était surmontée du surtitre ‘Racisme’, qui a fait bondir Marcel Meyer, lecteur de l’Ile-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) : ‘C’est perfide, méchant, con, dégueulasse. Pouah !’

Un titre du Monde du 12 janvier nous a appris que, selon les juges de Douai, l’affaire d’Outreau a révélé un ‘emballement répressif’. Mais, en lisant l’article, un lecteur de Nantes, Yvon Desdevises, a découvert que ces magistrats parlaient d’un ‘emballement répressif et médiatique’. Il proteste, et il a parfaitement raison.

La rédaction cherche à éviter les titres passe-partout et les clichés. Elle n’y réussit pas toujours. Charles Ehlinger, de Saint-Gratien (Val-d’Oise), avait été frappé par ‘ce scoop’ dans Le Monde du 16 novembre 2005 : ‘Après la ‘déclaration solennelle’ du chef de l’Etat, l’UMP approuve, l’UDF doute, la gauche dénonce’. On l’aurait presque deviné…Un conseil , nous écrit-il : mettez ce titre bien au frigo, il resservira plus d’une fois pour finir le quinquennat — et même après, quitte à intervertir peut-être les sigles. La France s’effondre de l’intérieur, elle implose… mais le jeu continue. La politique est devenue dérisoire. Jeu d’automates pour public désabusé.’

Certains articles — comme les reportages — appellent, plus que d’autres, des titres qui sortent de l’ordinaire. Mais inventivité ne veut pas dire snobisme et ne rime pas nécessairement avec préciosité.

Le tricot redevient à la mode, révélait Le Monde du 16 décembre 2005. Etait-il nécessaire de titrer ce modeste article ‘Le plaisir recouvré des mailles’, nous demande Annie Chardot (courriel) ? ‘Plaisir retrouvé’ aurait été suffisant et d’ailleurs plus correct.

‘Aux Louvrais, seul théâtre national incendié, the show must go on’, titrait Le Monde du 2 décembre 2005. Plusieurs lecteurs n’ont pas compris la nécessité de faire appel, ici, à la langue de Shakespeare. Moi non plus, je dois dire…

Les titres sont un sujet inépuisable. Arrêtons-nous là pour aujourd’hui. Reste à… titrer cet article. Un chroniqueur peut se permettre des fantaisies, et la liberté du médiateur est entière. ‘A juste titre’ aurait bien résumé le propos, mais je l’avais déjà employé, pour une autre chronique, en novembre 1999. Il serait du reste trop court dans cette nouvelle présentation, sur deux lignes. Car la maquette impose aussi ses exigences à ceux qu’on pourrait appeler, après tout, les tenants du titre…’