Tuesday, 26 de November de 2024 ISSN 1519-7670 - Ano 24 - nº 1315

Robert Solé

LE MONDE

"La petite princesse", copyright Le Monde, 14/12/03

"Question inattendue d?une lectrice internaute, Fiona Ijkema  : ?Pourquoi la naissance d?une princesse, la future reine des Pays-Bas, n?est-elle pas mentionnée dans Le Monde  ??

On commence par sourire, puis on vérifie. Pas de trace, en effet, d?une princesse néerlandaise dans le journal ces dernières semaines. J?ai retrouvé, en revanche, une dépêche de l?Agence France-Presse datée du 7  décembre à 23  h  59  : ?La princesse Maxima, épouse du prince héritier des Pays-Bas Willem Alexander, a donné naissance à une petite fille…? Le poids du bébé était indiqué avec une précision hollandaise (3,31  kg), mais on ignorait encore son prénom.

Autre dépêche de l?AFP deux jours plus tard  : ?Les prénoms officiels de la nouvelle petite princesse des Pays-Bas seront Catharina-Amalia Beatrix Carmen Victoria, mais elle sera connue sous le nom d?Amalia, a précisé le service d?information du Royaume (RVD) dans un communiqué. La naissance du premier enfant du couple princier a été largement célébrée aux Pays-Bas, de nombreux habitants envoyant cadeaux et félicitations et laissant flotter des drapeaux orange aux couleurs de la famille régnante.?

Une princesse est donc née, et Le Monde n?en a soufflé mot. Pourquoi  ? Nous ne sommes, me direz-vous, ni Voici ni Gala. Oui, mais Amalia est seconde en ligne de succession au trône des Pays-Bas, et Le Monde passe pour ?un journal de référence?. Il ne s?est d?ailleurs pas privé de consacrer des colonnes entières, le mois dernier, au prince Charles d?Angleterre…

Charles, qui nous a valu un courrier plus vif et beaucoup plus abondant qu?Amalia. Le Monde avait longuement décrit et commenté la folie médiatique qui s?était emparée de la Grande-Bretagne après des rumeurs sur la vie sexuelle de l?héritier du trône. Le journal s?était mis lui-même en ?une?, dans le numéro du 12  novembre, avec une manchette sans précédent (?Prince Charles  : la presse européenne censurée?) et, en sous-titre, cette information effrayante  : ?7  500 exemplaires du ?Monde? détruits?. Le dessin de Plantu était barré en rouge de la mention ?Censuré  !?. Heureusement, l?information était ramenée à sa juste proportion quelques lignes plus bas  : ?  Le Monde ayant relaté, dans son édition du 11  novembre, les principaux épisodes de l?affaire qui secoue Buckingham Palace, son distributeur au Royaume-Uni, le Financial Times, a craint un procès pour infraction à la loi et a préféré ?détruire? les 7  500  exemplaires de cette édition.?

Malaise d?une lectrice de Nice, Mme  Lallier  : ?Voici que Le Monde se rabaisse au niveau de la presse ?people? pour nous parler d?une question strictement privée. Cela méritait un entrefilet, et encore…? Fureur d?un lecteur de Chartres, François Busset: ?Ce qui fait scandale, ce n?est pas la sexualité du prince Charles (ou s?en f…), ni la censure de la ?presse-poubelle? britannique (elle le mérite bien)  : le scandale est que Le Monde s?en fasse l?écho ou le relais en France. De grâce, épargnez-nous cela si vous voulez conserver notre confiance et notre fidélité.?

UN lecteur de Dunkerque, Pierre Drapier, a choisi l?ironie cinglante: ?C?est grave, très grave  : la preuve, sur la photo, Charles en est tout effondré. De quelle turpitude s?est-il encore rendu coupable  ? Avec qui et dans quelle position  ? On n?en dit rien, mais sur quatre colonnes vous nous donnez matière à fantasmer. Le bas de page est heureusement consacré à la vie atroce de Caroline de Monaco. Je trouve pour ma part qu?il y a encore trop de sujets ennuyeux dans le journal (économie, politique, sociologie, etc.). Bon courage, vous allez encore élargir votre Audimat.?

Revenons à Amalia qui, à l?heure où nous parlons, doit frôler les 4 kilos. Le Monde avait consacré trois articles, de 1999 à 2001, au mariage controversé du prince héritier, dont l?épouse, Maxima Zorreguieta, est la fille d?un ancien ministre de la junte militaire en Argentine. Un autre article (Le Monde du 14  octobre) analysait les amours discutées de Johan Friso, le deuxième fils de la reine Beatrix. Pourquoi les lecteurs seraient-ils privés de la suite de l?histoire?

Il y a plus grave que la naissance d?Amalia… Le journal se dispense trop souvent de signaler des faits importants (un vote, une nomination, une déclaration… en France ou à l?étranger). ?Trous? inexplicables dans un ?journal de référence?, dont se servent, pour leur documentation, des étudiants, des historiens et les rédacteurs du Monde eux-mêmes. Le manque de place n?est jamais une bonne excuse  : il suffit parfois d?une simple mention pour assurer le suivi de l?information.

OON ne dira jamais assez l?importance des brèves, qui donnent l?essentiel (qui? quoi? où? quand?) en quelques lignes. Une lectrice de Neuilly-sur-Seine, Claudine Chevallier, leur rend hommage dans un joli texte  : ?Crépitantes, successives et condensées. Quatre phrases nettes. (…) Elles se suffisent à elles-mêmes. Comme découpées dans la chair informe du réel, elles nous en donnent un aperçu dru et corrosif. On admire dans cette épure l?exacte échelle, les détails, la cote, un croquis à main levée d?une incisive beauté.?

Aux lecteurs qui, régulièrement, se plaignent de ne plus trouver dans le journal la composition des nouveaux gouvernements étrangers, les détails des élections en France, les résultats des grandes écoles ou les discours de réception à l?Académie française, je rappelle chaque fois l?existence du Monde interactif. Ce transfert d?informations du support papier à l?écran est inévitable. Un jour, on s?apercevra que la météo quotidienne n?a pas grand sens sous forme imprimée, alors qu?elle est actualisée en permanence et détaillée ville par ville sur la Toile… Encore faut-il qu?une mention de tout cela figure dans le journal.

Bref, la petite princesse méritait une brève. Vérification faite, celle-ci avait bien été préparée par le service International, mais retirée au dernier moment, pour laisser la place à une autre.

Finalement, Amalia y a gagné  : une chronique du médiateur… Comme cadeau de naissance, on ne fait mieux. Souhaitons-lui tout de même, au cours d?une vie longue et heureuse, de défrayer le moins possible la chronique."