Friday, 22 de November de 2024 ISSN 1519-7670 - Ano 24 - nº 1315

Robert Solé

‘Deux fausses notes en trois semaines dans des critiques musicales du Monde. Une lectrice, Marina Bettineschi, a d’abord froncé les sourcils en tombant sur ‘un chœur a capella’ avec un seul ‘p’ (11 mars) ; puis elle est sortie de ses gonds en découvrant une phrase savante sur ‘le falsoletto de la faute’ (1er avril) à propos d’un abus de voiles dans le décor d’Otello à l’Opéra-Bastille. ‘J’imagine, écrit-elle, que vous vouliez parler d’un fazzoletto (mouchoir) et non d’un falso letto (faux lit)… La langue italienne mérite d’être mieux traitée, en tout cas aussi bien que le sacro-saint anglais !’

Sacro-saint, l’anglais ? Rassurez-vous, chère lectrice, il est maltraité lui aussi, et bien plus souvent que l’italien. Des anglophones nous prennent régulièrement à partie dans leur domaine de compétence. ‘En bon ingénieur pratiquant l’anglais courant et technique depuis près de quarante ans, je vous signale que ‘nitrogen’, que vous avez francisé hâtivement en ‘nitrogène’ dans une chronique du Monde 2, se traduit par ‘azote, écrit Dominique Janvier (courriel). Pour sa part, Jean-Paul Deville (Strasbourg) remarque que le mot anglais ‘silicon’ veut dire ‘silicium’ en français et non ‘silicone’. ‘Quand Le Monde du 12 mars traduit ‘silicon hills’ par ‘collines de silicone’, il évoque peut-être les mamelles de Pamela Anderson, mais cela n’a rien à voir avec les technologies nouvelles de l’information basées sur l’industrie du silicium !’

Une transposition paresseuse de mots anglais en français conduit à des non-sens. ‘A propos de virus informatiques, Le Monde du 27 avril nous parle de ‘codes malicieux’, remarque Jean-Marc Julia, d’Auriol (Bouches-du-Rhône). Or, ces programmes ne sont ni espiègles ni coquins : ils sont seulement ‘malfaisants’, et c’est le seul sens de l’anglais ‘malicious’, comme on nous l’a appris à l’école.’

Jean-Louis Fullsack (courriel) a lu pour sa part dans Le Monde du 15 avril qu’en Corée du Sud, la démocratie digitale est en marche’. Il proteste : ‘La démocratie à laquelle vous faites allusion n’est pas digitale, même si dans son exercice le rôle des doigts procède de ‘l’intelligence de la main’. ‘Digital’ est un anglicisme, abusivement utilisé à la place de l’adjectif bien français ‘numérique’, qui désigne la nature de la technologie utilisée pour coder et véhiculer l’information.’

Il n’y avait aucune raison par ailleurs de titrer dans Le Monde du 2 avril : ‘Air France baisse de nombreux tarifs européens et domestiques’. Comme l’écrit Daniel De Poli (courriel), ‘cet adjectif ne s’applique en français qu’à la maison (un animal domestique) et n’a pas le sens anglais d’intérieur : ‘a domestic market’ est en français un ‘marché intérieur’ et non un marché domestique’!

Les faux amis se cachent partout. Quand le directeur de la production de Shell déclare à son président ‘I am sick and tired of lying’, Le Monde du 29 avril traduit mot à mot : ‘Je suis malade et je suis las de mentir’. Des lecteurs comme François Liger (courriel) se déclarent à leur tour ‘sick and tired’, ce qui veut dire : j’en ai assez, j’en ai marre (de ces journalistes qui feraient bien de consulter plus souvent un dictionnaire bilingue).

Même des expressions courantes, utilisées dix fois par jour dans la presse anglo-saxonne, donnent lieu à des erreurs. ‘Votre article sur les néoconservateurs américains dans Le Monde daté 16-17 mai, nous parle de ‘décision dramatique’ à prendre, remarque un lecteur de Courbevoie (Hauts-de-Seine), Jean Arnaud. Il s’agit probablement d’une (mauvaise) traduction de ‘dramatic decision’, qui signifie ‘décision spectaculaire’ ou ‘décision d’importance’. Dans ce contexte, ‘dramatique’ est un non-sens.’

A force de coller à l’anglais, on finit par écrire n’importe quoi. Un lecteur de Figari (Corse), Jean-Pierre Bougère, s’étonne que dans les pages consacrées au Festival de Cannes des photos aient été accompagnées du mot ‘location’ pour préciser le lieu où elles avaient été prises : ‘En français, ‘location’ n’a qu’un seul sens : l’action de louer (une place au cinéma, un appartement, etc.). Après des mots comme initier, supporter ou nominer, employés mal à propos et directement calqués sur leurs équivalents anglais, va-t-on subir ce nouveau barbarisme ?’ Heureusement, au bout de quelques jours, la correction a été faite et ‘location’ a cédé la place à ‘lieu’.

De temps en temps, des lecteurs écrivent au site interactif lemonde.fr pour s’étonner des titres adoptés par ses rubriques : desk, chat, check-list, newsletter… On leur répond que la Toile (Net) est sans frontières et que la rédaction a choisi un vocabulaire international. Mais les deux correcteurs du site, Olivier Houdart et Martine Rousseau, tiennent une rubrique de français et assurent un service questions-réponses qui a du succès. Des internautes de langue maternelle anglaise leur écrivent aussi, comme cet Américain, Bob Raber, qui ne trouvait pas dans le dictionnaire le sens de l’expression ‘poil aux fesses’ apparue dans un dessin du Monde.

Réponse diligente des correcteurs : ‘Poil aux fesses’ exprime la dérision. Si la phrase ou le mot dont vous voulez vous moquer permet la rime (riche) avec ‘fesse’, vous pouvez utiliser l’expression pour marquer le peu d’importance que vous lui donnez. D’où le dessin en ‘une’ du Monde, car PS rime, pour son malheur, avec fesse…’

Des lecteurs anglophones sont parfois impitoyables. ‘Je n’en peux plus de constater le mauvais usage général, en France, du mot anglais ‘loser’, nous écrit Liz Stirling (courriel). Le dernier numéro du Monde 2 comporte une double faute dans l’article sur Michael Moore : ‘loosers’, en italique, est suivi de sa mauvaise traduction entre parenthèses (perdants). Or, le mot ‘loser’ (perdant) s’écrit avec un seul ‘o’, ‘loose’ voulant dire ‘plus lâche, ou plus large’, comme par exemple dans la phrase : ‘your pants are looser than mine’ (‘votre pantalon est plus lâche que le mien’). Il est vrai que Michael Moore porte le pantalon assez lâche… Vous allez nous dire que sans ce ‘o’ supplémentaire les Français seraient perdus, mais les anglophones de Paris-14e, fatigués de cette erreur récurrente, disent ‘trop c’est trop’. Il est paradoxal que vous soyez tellement à cheval sur le respect de votre langue, et pas de la nôtre.’

Les dictionnaires français ont bien adopté ‘loser’, et Le Monde aurait dû le savoir. Mais, au risque de fâcher de nouveau Mme Stirling, je dois lui signaler que le Petit Robert donne aussi la deuxième écriture.

‘Loser’ ou ‘looser’ ? Le plus simple serait encore d’écrire ‘perdant’. Tout le monde y gagnerait.’