Friday, 22 de November de 2024 ISSN 1519-7670 - Ano 24 - nº 1315

Robert Solé

‘DANS l´actualité européenne des dernières semaines, le football aura donc largement supplanté et les élections au Parlement et le projet de Constitution. De quoi désoler deux lecteurs lyonnais, Anne-Marie et Gérard Lespinois, qui ne supportent plus ‘ces dérives verbales et écrites tout à fait disproportionnées’.

Nous refusons, ajoutent-ils, ‘d´être infantilisés par les médias pour un sujet aussi secondaire que celui du ‘ballon rond’, qui, tout de même, n´est pas la religion de l´ensemble de nos concitoyens !’

Trop de sport dans le journal ? Je dois dire qu´au fil des années le nombre des protestataires est allé en diminuant. Conversion aux jeux du stade ? Lassitude et résignation ? Ou prise de conscience d´un phénomène social profond qui ignore les âges, les sexes et les opinions ?

Un lecteur de Toronto (Canada), Jean Fournier, ne nous écrit qu´à propos de… l´Olympique de Marseille. L´Euro 2004 l´a conduit à élargir exceptionnellement le champ de ses intérêts. Son dernier courriel, en date du 6 juillet, était très sévère pour Jacques Santini, le sélectionneur français : ‘Quel est le bilan de Santini ? La réponse est simple, claire, limpide, laconique aussi. Il est NUL. Quand on n´est pas fichu de faire gagner la plus belle équipe du monde, c´est que l´on est un mauvais entraîneur. Toutes ces victoires acquises avant l´Euro, sous la houlette de Santini, comptent finalement pour du beurre.’

Je saisis cette occasion pour m´excuser auprès de M. Fournier de n´avoir pas toujours répondu à ses envois. Il est matériellement impossible d´écrire posément à tous ceux qui prennent la peine de s´adresser au Monde. Et un simple accusé de réception pourrait passer pour de la désinvolture. On ne traite pas l´OM par-dessus la jambe…

‘J´ignore presque tout du football, nous écrit en revanche Bernard Peyre (courriel). Je me suis néanmoins permis de soumettre le fonctionnement de ce jeu à quelques calculs de probabilités.’ Voici donc plusieurs pages bourrées de chiffres et agrémentées d´infographies, à partir d´un constat simple : il aura fallu en moyenne 105 minutes pour marquer un but au cours de cet Euro 2004. ‘Quel drôle de sport ! s´exclame M. Peyre après avoir fait longuement tourner ses calculettes. Même lorsqu´on est plus fort de 40 % que son adversaire, il reste 40 chances sur 100 de se faire battre.’Conclusion générale : ‘Ce grand jeu est donc un jeu de hasard, autant que le jeu d´adresse, de technique, de puissance ou de stratégie dont on nous rebat les oreilles.’

Un lecteur de Talmont-Saint-Hilaire (Vendée), Hervé Bourgogne, estime, lui aussi, que ‘le champion est désigné par une roulette russe, avant d´être paré de toutes les qualités pour justifier a posteriori son titre’. Mais il le dit, lui, en passionné de football, qui réclame une évolution des règles. Les buts sont trop petits, alors que les joueurs ont vu leur condition physique évoluer considérablement depuis un siècle ; et, ‘pour réduire la part de hasard à des proportions raisonnables, ne faudrait-il pas donner la victoire, à l´issue des prolongations, à l´équipe ayant obtenu le plus de corners durant le match ?’

Le médiateur du Monde n´est pas habilité à trancher ce genre de questions. Il n´a même pas été en mesure d´intervenir, le 24 juin, quand une lectrice, Amel M´Bazaia, qui pressentait le désastre tricolore, écrivait : ‘Je suis furieuse de voir Thierry Henry se répandre dans vos colonnes en plein Euro. C´est un signe de déconcentration de cette équipe et de manque de sérieux. Les joueurs de Santini ont mieux à faire : se reposer, s´entraîner, se détendre, mais surtout fermer leur grande g… C´est n´importe quoi. Qu´on les laisse dans leur bulle, et tant pis pour les ventes du Monde ! Vous verrez ce qu´on en dira quand ils quitteront prématurément le tournoi.’

IL y a toujours eu du sport dans Le Monde. De grandes signatures n´hésitaient pas à apporter leur concours à cette rubrique : Jean Lacouture pour le rugby, Pierre Georges aux Jeux olympiques de Los Angeles en 1984, Jean-Marc Théolleyre pour suivre le Tour de France 1989…

On est passé cependant à une autre échelle depuis quelques années. Une page quotidienne a été créée en 1995. Le lundi, il y en a même trois. A cela s´est ajoutée la publication de suppléments spéciaux, voire d´un cahier de huit pages chaque jour lors de grands événements comme le Mondial de football ou les Jeux olympiques. Ceux d´Athènes donneront lieu cet été à seize suppléments, avec plus de diversité et un peu plus de fantaisie que pour Sydney en 2000. On y trouvera entre autres une bande dessinée et les commentaires es opposants aux Jeux.

La rubrique sportive compte actuellement neuf rédacteurs. Elles est dirigée par Gilles Van Kote, qui a succédé à Michel Dalloni, devenu l´an dernier directeur de la rédaction de L´Equipe. Le football occupe désormais la première place, parce que c´est le sport le plus populaire en France comme dans de nombreux pays, mais aussi parce qu´il est une sorte de laboratoire, un concentré de ce qui se passe dans d´autres disciplines : argent, transferts, nationalité, intégration, hooliganisme, dopage…

Un abonné de Veauche (Loire), Robert Roquard, protestait au début de l´Euro : ‘Ainsi donc Le Monde persiste et signe en s´assurant, après la Coupe du monde de football 2002, la collaboration technique d´Aimé Jacquet, l´ex-sélectionneur de l´équipe de France. Vous cédez à une drôle de mode en vogue dans les médias depuis quelques années. Telle la Pythie de Delphes dans l´Antiquité, Aimé Jacquet va nous régaler de ses oracles, pronostics, commentaires, techniques, cela va sans dire. Je n´achète pas Le Monde pour lire ce genre de littérature. Votre page sportive a depuis quelques années trouvé un ton attachant, distancié, couvrant avec bonheur l´actualité. Je ne suis pas certain que vous éleviez son niveau en donnant la parole à des intervenants extérieurs.’

POURQUOI une chronique d´Aimé Jacquet ? Et pourquoi une autre de Daniel Cohn-Bendit ? Le rédacteur en chef de la séquence Aujourd´hui, Serge Bolloch, explique que Le Monde ne s´intéresse pas seulement aux épreuves sportives, mais à tout ce qui les entoure. ‘Nous ne faisons pas appel à des consultants. Aimé Jacquet apportait un éclairage technique sur les matches, tandis que Daniel Cohn-Bendit donnait le regard d´un amateur européen, passionné de football. Quant aux rédacteurs de la rubrique, ce ne sont pas des commentateurs sportifs, mais des journalistes comme les autres, qui font des reportages, des enquêtes, des analyses…’

Le sport a longtemps été une sorte de bulle protégée. ‘Ce n´est plus vrai, et on ne peut plus le traiter de la même façon’, souligne Gilles Van Kote. Comment aborder le Tour de France sans penser au dopage ? Comment faire abstraction des transactions financières en parlant d´un club de football ou d´une écurie de formule 1 ? ‘Le champion ‘exemplaire’ d´aujourd´hui sera peut-être demain malade, ruiné ou poursuivi en justice.’

Malgré tout, le sport fait rêver et le Tour de France reste un exploit exceptionnel. Sans tomber dans le lyrisme, il faut raconter la course, écrire cette chanson de geste. Comme il est loin (c´était à la fin des années 1940) le temps où un journaliste politique du Monde, Pierre-André Salarnier, chargé à la fois de la présidence du conseil et du sport, couvrait la course… de son bureau ! Pour suivre chaque étape, il appelait au téléphone les postes de gendarmerie tout au long du parcours.

Un fidèle lecteur d´Orléans, Pierre Muckensturm, qui juge excessive l´importance accordée aujourd´hui à ‘cet événement pharmaco-sportif’, s´en souvient : ‘Le compte rendu de l´étape occupait la surface de deux timbres-poste à l´avant-dernière page.’ Il est vrai que les journaux, alors, étaient bien minces, faute de papier…’