‘Faut-il rendre obligatoire l´enseignement de l´anglais dès le CE2 ? La commission Thélot l´ayant proposé, les polémiques vont bon train. Tout le monde s´accorde au moins sur un constat : les jeunes Français n´apprennent pas bien les langues étrangères à l´école, notamment celle de Shakespeare (ou plutôt de Tony Blair), déjà choisie par l´immense majorité d´entre eux, de préférence à l´allemand ou à l´espagnol.
Des lecteurs de langue maternelle anglaise participent volontiers à ce débat. Ainsi, John Day, de Chelles (Seine-et-Marne), qui se souvient de sa scolarité en Grande-Bretagne : ‘On a tous étudié le français pendant cinq ans. C´était français-et-latin, ou français-et-allemand, ou français-et-espagnol, ou français tout court pour les moins doués. Hélas ! J´étais le seul de ma classe à considérer le français comme un outil de communication. Pour les autres, c´était un sujet d´examen, rien de plus. Si j´ai choisi de venir en France pour y faire ma carrière d´informaticien, c´est à cause du désintérêt total du milieu technique britannique pour une quelconque langue étrangère.’ M. Day commente : ‘Si on enseigne l´anglais en France de la même façon que l´on enseigne le français en Grande-Bretagne, alors, cela ne vaudra vraiment pas la peine. Il faut trouver les moyens de transformer l´enseignement en apprentissage d´une langue vivante.’
Michael Bulley, de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), enseigne, lui, l´anglais à des adultes. Ses étudiants, constate-t-il, ont du mal à lire un texte à haute voix, en anglais… ou en français. ‘Ils me disent qu´ils ne le faisaient pas à l´école, où la dictée était à la base de l´apprentissage. Dans la dictée, on transforme les sons en signes, mais, pour maîtriser une langue, il faut aussi être capable de lire à haute voix, sans préparation, un texte qu´on n´a pas vu auparavant, d´une manière convaincante pour les auditeurs.’
Prendre la parole en classe, c´est très bien. Encore faut-il pouvoir le faire. Yvonne Svenbro, professeur d´anglais au lycée Van-Dongen de Lagny-sur-Marne (Seine-et-Marne), résume le drame en trois chiffres : ‘Cours après appel et installation : 50 min. Nombre d´élèves : 35. Résultat : 1 min 25 s par élève. Voilà tout ce que nous pouvons leur offrir, si nous n´ouvrons pas la bouche.’
La commission Thélot veut lutter contre ce manque de moyens : elle place ‘l´anglais de communication internationale’ parmi les enseignements fondamentaux, avec la langue française, les mathématiques, ‘l´éducation à la vie en commun’ et la maîtrise de l´informatique.
‘Arrêtons de tout vouloir résoudre à l´école !’ réplique un lecteur parisien, Jean-Pierre Rabault, qui fait part de son expérience personnelle. C´est dans une petite ville de Suède qu´il a commencé à travailler, en 1970. La plupart des habitants parlaient l´anglais, y compris les caissières du supermarché. Lui avait bien du mal à s´exprimer, malgré des années de thèmes et de versions à l´école française. ‘Comment faisaient les Suédois ? Ils diffusaient les films en langue originale et sous-titraient tout ce qui passait à la télévision.’ M. Rabault en est convaincu : ‘Pour apprendre une langue, il faut l´entendre, avec des images. Nous devrions instituer le sous-titrage systématique et bannir le doublage des films, des feuilletons, des reportages, etc. Après tout, on le fait bien pour l´opéra !’
Revenons quand même en classe… Qu´est donc cet ‘anglais de communication internationale’, qu´il faudrait enseigner à tous les élèves ? Un anglais d´aéroport ? ‘Il est stupide de penser qu´on parviendra ainsi à de meilleurs résultats’, estime Claire Goyer, de Bruxelles (Belgique). Si le système actuel a échoué, c´est par manque de professeurs qualifiés et non à cause de la complexité de la langue. L´échec se reproduira, ajoute-t-elle, si l´on persiste à utiliser des procédés incantatoires pour faire croire à une amélioration de l´enseignement par la simplification des contenus. ‘Ce n´est pas l´élève qui doit être au centre du dispositif scolaire, pour reprendre un slogan démagogique, mais le professeur, car c´est par lui que tout arrive… ou n´arrive pas. Yes, sir.’
Dans son éditorial du 22 octobre, Le Monde approuvait l´anglais obligatoire pour tous les élèves et estimait qu´il fallait sortir d´un ‘enseignement trop classique, parfois compassé et souvent démotivant pour les élèves’. En ajoutant cependant : ‘Il serait urgent que cette réforme utile soit complétée par une autre, vitale. L´impérialisme de l´anglo-américain provoquerait moins de crispations si les ministres de l´éducation de l´Union européenne s´accordaient sur l´obligation d´enseigner deux langues étrangères dans tous leurs pays. Il y va de l´avenir du français et des autres langues européennes.’
Cet argument ne convainc guère Etienne de Saint-Laurent, lecteur de Plestin-les-Grèves (Côtes-d´Armor) : ‘Votre souhait de voir imposer à tous les élèves européens deux langues étrangères rappelle la recette du pâté d´alouette : une moitié de cheval pour l´anglais et dix-neuf miettes d´alouette (les langues des autres pays européens) pour l´autre moitié.’
L´anglais obligatoire ? ‘Non, l´espéranto !’, s´exclame S. Gautier, de Bazainville (Yvelines). Voici au moins une langue facile à apprendre et qui, contrairement à l´anglais, n´a pas de caractère hégémonique. Plusieurs lecteurs espérantistes défendent cette thèse, avec le sentiment douloureux de prêcher dans le désert.
Claude Gintz (courriel) n´est nullement convaincu par la proposition de la commission Thélot, approuvée par Le Monde. Il écrit : ‘Vous présentez l´enseignement de l´anglais dès l´âge de 8 ans comme une nécessité et un progrès, en omettant les dommages supplémentaires qu´il risque de causer au français auprès des jeunes générations, et en particulier à ceux, de plus en plus nombreux, dont la langue maternelle n´est pas le français. On parle déjà du déclin du français, mais cela risque d´être bien tôt une débâcle.’ Petite pique au Monde, en passant : ‘Faut-il que les institutions, dont le premier souci devrait être de participer de la défense et de l´illustration du français, soient en grand dérangement pour se mettre en tête de tout faire pour accélérer son déclassement ?’
C´est ce qu´exprime d´une autre manière un francophone américain, Bill Fortney, de Bellevue (Etats-Unis) : ‘Autrefois, on a essayé de nous faire apprendre la langue de Molière et de Voltaire. Cela n´aide pas beaucoup à comprendre le français actuel ‘de communication internationale’ qui contient, comme le savent les lecteurs du Monde, des locutions insensées telles que ‘newsletters’, ‘multimédias’, ‘desk’, ‘implémenter’, ‘krach’, ‘grand chelem’…’ Mais on s´éloigne un peu du sujet. Les anglicismes, thème inépuisable, ce sera pour une autre fois…
Un lecteur de Nantes, Jean-Louis Oger, a passé une excellente soirée, le 21 octobre, grâce à l´émission ‘Double Je’, de Bernard Pivot, consacrée à des Roumains. La francophonie, a-t-il constaté avec émotion, ne se limite pas aux anciennes colonies françaises, au Québec et à la Louisiane, aux voisins suisses et belges. ‘Il y a de ces moments où la télévision vous distrait de la lecture… Il était 0 h 20. Après quelques pages du Bloc-Notes de Mauriac et du Monde, je pouvais m´endormir, l´esprit saturé de nostalgie et d´amertume, en me posant la question : faut-il rendre le français obligatoire à l´école ?’
Admettre l´anglais comme langue de communication internationale n´interdit nullement de défendre le français. L´éditorial du 22 octobre contenait à ce propos une phrase inutilement désagréable : ‘Déjà se lèvent la grande armée des défenseurs de la francophonie et les bataillons syndicaux prêts à défendre leurs prés carrés.’ Pourquoi ironiser sur cette ‘grande armée’, qui serait bien petite à vrai dire si elle était privée des vrais combattants du Québec, de Suisse romande, de Wallonie, du Maghreb, d´Afrique noire ou du Liban ? Comme si Le Monde, quotidien français le plus lu hors de France, n´était pas – ne devait pas être – un ardent défenseur de la francophonie !’