Friday, 22 de November de 2024 ISSN 1519-7670 - Ano 24 - nº 1315

Robert Solé

‘Un courriel portant trois signatures m´est parvenu le 8 décembre. ‘Nous sommes élèves au lycée Napoléon de L´Aigle (Orne), en classe de première économique et sociale, écrivent Elodie Cavalli, Josée Garcia et Frédéric Louis. Nous nous permettons de vous adresser ce mail dans le cadre des travaux pratiques encadrés.

Pour ces TPE, nous avons choisi comme sujet : la presse écrite et la manière avec laquelle les journaux traitent les événements. Afin de répondre aux questions que nous nous posons et de pouvoir rendre un dossier le plus complet possible, nous vous prions de bien vouloir prendre de votre temps pour répondre au questionnaire ci-joint…’

Ces lycéens me posent sept questions, qui intéressent sans doute d´autres lecteurs du Monde. Essayons d´y apporter quelques éléments de réponse.

1) comment constituez-vous votre ‘une’?

Graphiquement, la première page du journal est à peu près identique tous les jours, sauf événement exceptionnel. Elle compte quatre ‘étages’: une manchette, accompagnée d´un dessin de Plantu ; un deuxième titre, plus petit ; un billet, appelé ‘ventre’, qui est consacré à un thème plus décalé ; enfin une analyse ou un point de vue, en rez-de-chaussée. Dix à quinze autres sujets sont annoncés, et parfois illustrés, dans cette vitrine du journal.

La nouvelle formule du Monde, inaugurée en janvier 1995, voulait distinguer clairement l´information du commentaire en reléguant celui-ci en deuxième position. L´éditorial a donc été déplacé en pages intérieures. Hormis le dessin et l´analyse, aucune opinion ne doit s´exprimer en ‘une’. La manchette, en particulier, n´est pas un éditorial.

Des lecteurs protestent quand elle leur donne l´impression d´être une prise de position déguisée. Le Monde du 3 décembre titrait : ‘Les socialistes votent ‘oui’ à l´Europe et ‘non’ à Fabius.’ Cela nous a valu plusieurs réactions assez vives, dont celle d´une lectrice de Brignoles (Var), Marie-Hélène Richez : ‘Ce titre est inadmissiblement tendancieux. Il induit que ceux qui ont voté ‘non’ ont voté ‘non à l´Europe’. Ce n´est pas parce que Laurent Fabius appelait de ses vœux un ‘non’ à cette nouvelle Constitution que nous allons le taxer d´antieuropéen ! A ce compte-là, vous auriez pu aussi bien titrer ‘les socialistes votent oui à Hollande’ ! Ce qui, vous le savez comme moi, serait tout aussi faux…’

Quoi qu´il en soit, un quotidien ne peut plus se permettre d´annoncer un événement connu de tous. Titrer ‘Le ‘oui’ l´a emporté chez les socialistes’, alors que cette information a déjà fait l´objet de dizaines de bulletins radio depuis la veille, n´a pas de sens. Il faut aller plus loin, anticiper ou interpréter, mais en respectant le contrat de lecture passé avec les lecteurs.

2) Qu´est-ce qui vous pousse à privilégier une information plutôt qu´une autre ?

Naguère, quand Le Monde n´avait pas besoin de se battre pour gagner des lecteurs, les seules questions que la rédaction se posait implicitement étaient : qu´y a-t-il de nouveau aujourd´hui ? Qu´y a-t-il d´important ? Sachant que tout ce qui était nouveau dans l´actualité n´était pas forcément important, et vice versa. Fallait-il titrer en première page sur la ‘petite phrase’ d´un dirigeant politique (nouvelle, mais d´une importance relative) ou sur la famine en Afrique (importante, mais malheureusement répétitive) ? Il n´existe aucune machine ni aucun barème pour mesurer un événement selon ces deux critères.

Un troisième souci s´est imposé peu à peu : qu´est-ce qui fera vendre le journal ? On ne peut plus tabler sur un achat du Monde qui s´imposerait naturellement : il faut aller ‘chercher’ le lecteur en lui offrant un quotidien attractif, dans le fond comme dans la forme. La lecture doit être un plaisir. Et l´ennui n´a jamais été une garantie de profondeur ou de rigueur. Cela n´implique ni tricherie ni racolage. Un titre peut (et doit) être vif, mais à condition d´être exact.

3) Si vous remarquiez une baisse des ventes sur plusieurs mois, quels moyens mettriez-vous en œuvre afin de les relancer ?

C´est une question qui se pose très concrètement en ce moment. Les causes de cette baisse des ventes sont connues : elles concernent d´autres quotidiens nationaux (Internet, les journaux gratuits, les nouvelles habitudes de lecture, la crise du réseau de distribution…), mais tiennent aussi à des causes particulières au Monde, notamment une image abîmée et, à tort ou à raison, une crédibilité mise en doute.

Il n´existe pas de baguette magique pour redresser instantanément une telle situation. Une stratégie en deux temps paraît s´imposer. Dans l´immédiat, faire un quotidien irréprochable, et le faire savoir. Parallèlement, étudier des réformes pour mieux répondre aux besoins des lecteurs. Cela peut paraître paradoxal, mais un journal doit régulièrement se renouveler pour rester fidèle à lui-même.

4) Quels sont pour vous les sujets les plus intéressants à traiter ? Les plus vendeurs ?

Sujet ‘vendeur’ en principe, la vie privée des gens célèbres n´a sa place dans Le Monde que dans les cas – assez rares – où elle a une incidence sur la vie publique. Mais un événement privé peut avoir un tel écho (je pense à la mort accidentelle de la princesse Diana) qu´il mérite d´être traité sous ses différents angles. C´est alors une question de mesure et de proportion.

Un bon journal réussit à rendre intéressants, et même ‘vendeurs’, des sujets ardus, qui lui paraissent importants, parce qu´ils concernent la vie de nombreuses personnes, parce qu´ils sont significatifs ou, selon une expression un peu galvaudée, porteurs d´avenir.

Tous les événements ne se valent pas et ne méritent pas d´être mis sur le même plan. ‘Hiérarchiser’ l´information est l´un des services qu´un quotidien de qualité peut rendre à ses lecteurs. Mais, là non plus, il n´existe ni de liste ni de barème. Un journal est un lieu de discussion permanent, où l´on ne cesse de s´interroger collectivement sur l´actualité et la manière de la traiter.

5) D´où proviennent vos informations ?

De mille sources, nationales ou étrangères : gouvernement, institutions, associations… souvent par le biais des agences de presse. Mais les journalistes vont également au-devant de l´information, par des reportages et des enquêtes. Le rôle du Monde est aussi de mettre au jour des réalités qui le méritent, de révéler des faits inédits ou cachés.

Les informations ne cessent de se multiplier, en raison de l´évolution des techniques de transmission, de l´extension des champs de l´actualité (l´environnement, la bioéthique…) et du fait que tout le monde s´est mis à ‘communiquer’. Nous ne publions pas le centième des informations dont nous disposons. Plus que jamais, le métier de journaliste exige de choisir.

6) Le journaliste est-il libre quant à sa façon de traiter son sujet ?

Oui, du moment qu´il respecte les règles de la publication à laquelle il appartient. Au Monde, il existe différents types de textes (articles informatifs, analyses, éditoriaux, entretiens, rectificatifs…) pour lesquels sont fixés un mode d´écriture, une forme de titre, une longueur et même une police de caractère. On ne rend pas compte de la même manière d´un débat parlementaire, d´un colloque ou d´un procès. Dans ce dernier cas, par exemple, le journaliste doit donner au lecteur l´impression d´avoir assisté à l´audience, mais il ne cite pas les propos tenus hors prétoire, dans les couloirs du palais de justice. Ces règles très strictes n´empêchent pas chaque chroniqueur judiciaire d´avoir son style personnel.

7) Acceptez-vous tous les papiers proposés par vos journalistes ? Si non, pourquoi ?

Il arrive qu´un article ne soit pas publié, faute de place, parce qu´une actualité imprévue est venue bousculer les pages. Par ailleurs, des papiers peuvent être refusés, d´autres sont modifiés, parce qu´ils ne respectent pas certaines règles, de forme ou de fond. Selon les principes du Monde, l´information doit être rigoureusement vérifiée et soigneusement recoupée, la rumeur est bannie, la citation anonyme évitée, la source indiquée aussi précisément que possible… Ces règles sont publiques. Elles figurent dans un ouvrage qui est en vente, Le Style du ‘Monde’ (9 euros).

J´espère que ces quelques remarques aideront les trois élèves du lycée Napoléon, de L´Aigle, à rédiger leur travail. ‘J´espère’ n´est pas une formule de style : une expérience malheureuse, remontant à une quinzaine d´années, m´oblige à être circonspect. Dans un lycée de la région parisienne, un professeur avait eu la curieuse idée de demander à sa classe, dont faisait partie l´un de mes fils, de commenter un article du Monde signé… Robert Solé. Mon fils m´avait demandé de l´aider à analyser ce texte. Je l´avais fait volontiers. Et nous avions eu une mauvaise note !’