‘Pour tout dire, je n’avais pas très envie, en cette période de fêtes, d’aborder un sujet qui nous a valu pas mal de courrier : la manière dont Le Monde souligne et commente ‘la lepénisation’ présumée des esprits. On aura sans doute l’occasion d’y revenir… Un courriel reçu mardi 27 décembre me permet de bifurquer sur une voie plus paisible mais tout à fait d’actualité.
‘C’est curieux, nous écrit Christian de Maussion (Paris). Durant les fêtes de fin d’année, comme l’été au mois d’août, les journaux s’allègent. Le prix d’achat à la page grimpe d’un seul coup. L’actualité maigrit quand les journalistes sont en vacances. On dirait que la campagne publique de lutte contre l’obésité frappe de plein fouet l’imprimé.’
En effet, Le Monde — comme les autres quotidiens — est plus mince, et cela tient essentiellement à la baisse de la publicité : la plupart des annonceurs lèvent le pied entre le 20 décembre et le 2 janvier.
Mais n’éludons pas la question de notre lecteur. Pourquoi l’actualité diminue-t-elle de volume à l’approche des fêtes ? La planète cesserait-elle de tourner ? Les journalistes ne seraient-ils pas tout simplement en vacances ? ‘ L’usine à nouvelles fonctionne au ralenti, constate M. de Maussion. Le gros des ouvriers est en chômage technique. Quand les quotidiens ferment à moitié boutique pour cause de réveillon, l’actualité se désactualise, le monde des nouvelles se repose.’
En réalité, ce ne sont pas les journalistes qui font relâche, mais les chefs de parti, les députés, les patrons, les syndicalistes, les enseignants… L’année dernière, la fameuse trêve des confiseurs n’avait pas eu lieu. Le 21 décembre, deux journalistes français, Georges Malbrunot et Christian Chesnot, étaient libérés après 124 jours de captivité en Irak. Et, surtout, le 26 décembre, un tsunami ravageait les côtes de sept pays d’Asie du Sud-Est, tuant 230 000 personnes.
La commémoration de ce qui a été vécu comme une catastrophe universelle vient d’ailleurs d’occuper dans les médias une place doublement significative : comme s’il fallait, à la fois, souligner l’émotion exceptionnelle connue il y a un an et combler les vides de l’actualité de cette fin décembre 2005.
Des vides très relatifs au demeurant, puisque la planète connaît en permanence toutes sortes de drames, de bouleversements ou d’innovations. Mais nous sommes devenus difficiles : noyés à longueur d’année d’informations, qu’une mise en scène dramatise à souhait, nous avons tendance à trouver banal tout ce qui n’est pas absolument nouveau ou vraiment spectaculaire…
Un quotidien est plus difficile à réaliser dans ces périodes ‘creuses’. Surtout s’il refuse de monter en épingle de pseudo-événements (il fait froid, il neige, il va encore neiger…) ou de multiplier les bilans et best of en tous genres de l’année écoulée. La trêve des confiseurs n’est-elle pas plutôt l’occasion d’explorer des territoires négligés de l’actualité, d’essayer de donner du sens et de la profondeur aux événements ? C’est l’objectif de la deuxième partie du Monde, appelée ‘Décryptages’, avec ses portraits, ses dossiers et ses débats, mais aussi de la page 3, qui ne se limite pas à des ‘scoops’ : certains thèmes, comme l’exploitation de l’amiante au Québec (28 décembre) ou la transmission du patronyme (30 décembre), s’inscrivent dans une actualité longue.
Alors que Le Monde — resserré, plus distancié, plus fouillé — s’adapte à la trêve des confiseurs, le courrier des lecteurs prend un petit air de fête. Nous avons reçu plusieurs poèmes ces derniers jours, parmi lesquels une supplique de Céline Ramstein (courriel) au Père Noël pour qu’il fasse cesser les guerres. Michel Mondolot-Caillot, qui signe Mondolius, a commenté, lui, un article du 25 décembre sur le passé colonial de la France : ‘Fallait-il donc la loi pour punir la négation ? Contre l’esclavage faut-il une commission ?’
Deux vers parmi d’autres… La plupart de ces poèmes auraient du mal à trouver place dans le courrier des lecteurs. Ils sont plus courts cependant que ‘Septembre 2001’, que nous avait envoyé Albert Pesses, de Montreuil (Seine-Saint-Denis), pour commémorer les attentats de New York. Et sans commune mesure avec l’oeuvre d’un ingénieur libanais, spécialisé en hydraulique, qui nous proposait il y a quelque temps ‘une poésie politique sur l’Irak de 400 alexandrins’ intitulée ‘Moi, Saddam, dictateur’…
La veille de Noël, j’ai reçu une lettre inhabituelle, postée de Saint-Etienne (Loire). Elle portait cinq signatures, accompagnées de cinq numéros d’abonnés. ‘Nous nous adressons au médiateur avec l’espoir qu’il prêtera une oreille attentive à nos doléances. Nous sommes de plus en plus excédés par les perturbations dans la distribution de notre quotidien, alors qu’il est régulièrement disponible chaque jour chez les marchands de journaux. Nous vous demandons instamment de bien vouloir diligenter une enquête…’
On imagine aisément cinq voisins se concertant chaque jour (‘Et vous, vous l’avez reçu ?’), avant de passer à l’action. Je n’ai pas eu d’enquête à mener : la direction des abonnements était bien au courant de ces perturbations, et pas seulement à Saint-Etienne. Elles proviennent de l’imprimerie du Monde, qui, ces dernières semaines, a subi plusieurs pannes électriques et a dû s’adapter à la nouvelle formule du quotidien, avec plus de pages en couleurs. Or, le moindre retard se répercute dans toute la chaîne de distribution, jusqu’à l’étape ultime : la boîte aux lettres de l’abonné. Tout est fait pour pouvoir revenir à la normale dans les meilleurs délais.
Alain Villefayaud n’a pas eu ce problème : c’est un acheteur au numéro, et quel acheteur ! Noël 2005 marque pour lui un cinquantenaire. ‘Le 11 décembre 1955, nous écrit-il, j’achetais pour la première fois Le Monde, sur le conseil d’un de mes professeurs. C’était un dimanche. J’avais 15 ans, j’étais pensionnaire, ma famille me donnait 100 francs par semaine. Un exemplaire du journal en valait 15. En dehors de mes 26 mois de service militaire en Algérie, j’ai lu Le Monde tous les jours à partir de 1958 (sauf maladies) et sous toutes les latitudes où la vie m’a conduit. (…) Le soir, à Limoges où j’habite, j’achète Le Monde daté du lendemain, au bar-tabac Le Central, place de la République. Il arrive par le train de 17 heures. Quelques fois, Sophie, la vendeuse me fait des grands signes négatifs : le journal n’est pas arrivé. Alors, c’est un jour différent, un jour sans Monde.’
A M. Villefayaud, souhaitons une 51e année heureuse, avec des trains qui remplissent leurs promesses !’