‘Deux lecteurs parisiens, Marion Penaud et Xavier Leroux, nous avaient envoyé il y a quelques semaines un commentaire sur l’Exposition universelle d’Aichi, au Japon. Leur texte, jugé intéressant, a été sélectionné pour le Courrier des lecteurs et publié dans Le Monde du 5 novembre 2005.
Mais les deux auteurs nous ont réécrit ensuite pour réclamer un rectificatif : la suppression de deux passages de ce texte modifiait, selon eux, le sens de leur propos. Ils s’étonnaient que Le Monde n’ait pas sollicité leur accord préalable ou n’ait pas indiqué ces coupes, selon l’usage, par trois points entre parenthèses.
En effet, les mots supprimés auraient dû être signalés par le (…) habituel. Pour le reste, il faut savoir que Le Monde, comme l’indique son livre de style, ‘se réserve le droit de ne publier que des extraits des lettres reçues, sauf demande contraire de l’auteur’.
Seul un texte sur dix, sélectionnés pour le Courrier des lecteurs, est publié intégralement. Les neuf autres subissent des réductions, pour leur permettre de trouver place dans cette rubrique ou, simplement, pour les rendre plus nerveux ou plus lisibles. On veille évidemment à respecter la pensée des auteurs, et les plaintes sont rares. Mais le meilleur moyen d’éviter une mauvaise surprise est de ne pas proposer au journal plus d’une trentaine de lignes.
Certains lecteurs nous adressent des textes fleuves, qui n’ont évidemment aucune chance d’être publiés tels quels. Ce sont souvent des dissertations bien construites, avec introduction, développement et conclusion, comme on apprend à les tricoter au lycée.
D’autres se sont parfaitement adaptés au style journalistique et aux rythmes de plus en plus rapides d’une société zappeuse, qui ne supporte plus les longueurs. Véritables billettistes, ces lecteurs savent, en quelques phrases, défendre une idée ou déboulonner une statue.
Par exemple, d’un simple revers, Jean Punset (courriel) renvoie dans les filets une star à la mode : ‘Yannick Noah vient de dire : ‘Si Sarkozy passe, je me casse…’ Inutile, c’est déjà fait : Noah, comme beaucoup de ses compatriotes artistes ou sportifs, réside en Suisse… d’où il peut bien entendu s’exprimer, mais avec quelle légitimité ?’
A la manière de Plantu, Marianne Vormès (Paris) s’amuse à associer deux événements sans lien entre eux : ‘Jamel Debouzze et consorts peuvent être fiers de l’impact de leur appel à s’inscrire sur les listes électorales. Ça a marché ! La preuve : Alain Juppé est revenu exprès du Canada pour s’inscrire à Bordeaux !’
C’est un procédé similaire qu’emploie Patrick Waldman (courriel), qui défend l’environnement en rapprochant deux images : ‘Jadis, les Egyptiens enfouissaient leurs pharaons sous d’imposants amoncellements de terre : les pyramides, afin qu’ils ‘vivent pour l’éternité’ et enfin reviennent à la vie : cette civilisation n’est maintenant qu’un souvenir. Aujourd’hui, c’est aussi sous d’épais monceaux de béton, de terre aussi, que nous enfouissons nos déchets nucléaires afin qu’ils meurent dans la nuit des temps. C’est le souvenir que lègue notre civilisation aux générations futures pour qui il sera aussi une énigme, sans la beauté du site.’
Eric Garnier (Paris), ‘enseignant de 53 ans, homopère’, aborde un sujet brûlant : ‘Vous annoncez que 174 parlementaires UMP-UDF ont signé un appel pour interdire l’adoption par un couple homosexuel au nom de ‘l’intérêt de l’enfant’. La veille, on apprenait qu’un enfant sur cinq (en France !) vit dans la pauvreté. Avec qui les enfants sont-ils donc le plus en danger : avec nous (qui ne pouvons toujours pas les adopter) ou avec ces élus dont la politique donne cette catastrophe ?’
Souvent, c’est Le Monde lui-même qui est pris à partie. Une simple faute d’orthographe peut donner lieu à un billet assassin. ‘Depuis pas mal de temps, écrit François Jourdier (Toulon), vous vous croyez autorisés à mettre au féminin des noms qui n’admettent que le masculin. C’est ainsi que dans l’hagiographie de Christiane Taubira (Le Monde du 20 décembre 2005), vous la qualifiez d’auteure’ de la loi sur l’esclavage. Il ne faudrait quand même pas pousser trop loin cette manie en accordant des adverbes au féminin. Je lis en effet par deux fois ‘Je paye très chère ma liberté de parole.’ Je pense qu’effectivement la dame vous est chère, mais quand même ; retenez-vous !’
Le sondage sur les Français et le Front national, dont les résultats avaient été publiés et commentés dans le numéro du 15 décembre 2005, nous a valu des réactions aussi vives qu’agacées. Emmanuel Saussier (courriel) les a résumées de manière ironique : ‘C’est la 11 256e fois en plus de vingt ans que Le Monde nous révèle que les Français deviennent lepénistes. Or, ce parti ne dépasse, nationalement, jamais 17,5 % des voix. Il serait temps que vous lanciez une grande enquête : qui, depuis 1984, truque systématiquement des élections que le FN aurait dû gagner haut la main ? Revenez un peu sur le terrain : faites donc du journalisme d’investigation, que diable !’
Suggérée aux lecteurs, la concision est recommandée fortement aux rédacteurs du Monde. Dans un journal qui ne craignait pas jadis de ‘faire long’ (parfois même très long…), de nouvelles habitudes d’écriture se sont installées peu à peu. On a découvert que la profondeur d’un article n’est pas nécessairement proportionnelle à sa taille, même s’il faut parfois se donner de la place, sans lésiner, pour aller au-delà de ce qui se lit et s’entend partout.
En le regrettant, certains lecteurs demandent pourquoi Eric Fottorino a réduit sa chronique de dernière page à un billet de huit lignes. ‘La nouvelle formule du Monde, explique le directeur délégué de la rédaction, est placée sous le signe de la concision et de la densité. Je devais montrer l’exemple et m’appliquer cette règle exigeante. Je ne sais pas si j’ai déjà trouvé le bon ton. C’est un entraînement quotidien qui demande davantage de temps et de concentration que j’imaginais.’
Même une histoire vécue peut être racontée en quelques phrases. Une lectrice parisienne, Edith Bouchemal, nous le démontre brillamment : ‘Ligne de métro n° 7, une vieille dame entre dans la rame bien chargée en cette veille de fêtes : une jeune femme noire se lève aussitôt pour lui céder sa place. L’autre la remercie, mais fait signe qu’elle a repéré une place libre. A ce moment, la rame redémarre et la vieille dame, déséquilibrée, tombe assise sur les genoux d’une femme maghrébine qui l’accueille avec un joyeux : ‘Soyez la bienvenue !’ Eclat de rire général : un moment de tendresse dans un monde de brutes.’’