Monday, 23 de December de 2024 ISSN 1519-7670 - Ano 24 - nº 1319

Robert Solé

‘Un bébé prénommé Mateo est né en France le 25 février dernier. Pour la plus grande joie de son grand-père, qui a voulu l’annoncer dans le Carnet du Monde, avec le commentaire suivant : ‘Quand même, 12 euros par jour versés par la Sécu sous prétexte que Sarah (la mère) est intermittente et que le Medef fait désormais la loi, ça donne un arrière-goût que devront payer, tôt ou tard, ceux qui gouvernent aujourd’hui. Papounet entre en résistance, pour Mateo !’

Un peu perplexe, la responsable de l’équipe du Carnet payant, Martine Moline, a consulté la direction de la rédaction, dont elle devinait à vrai dire la réponse. Puis, avec sa courtoisie habituelle, elle a expliqué à ce lecteur combatif que les déclarations politiques ne sont pas acceptées dans cet espace. Le Monde refuse également d’y publier les avis de recherche (généralement accompagnés d’une photo), les annonces dites ‘de rencontre’ et, d’une manière générale, tout ce qui paraîtrait déplacé dans une rubrique où dominent les avis et anniversaires de décès.

Certains lecteurs ne manquent jamais de parcourir le Carnet, qui est pour eux une source d’information précieuse, les conduisant à exprimer des condoléances ou des félicitations. Un avis de décès révèle parfois des parentés inattendues. Il permet aussi à des familles dispersées aux quatre coins du monde de se réunir avec des mots.

La mort d’une personnalité connue donne lieu, par ailleurs, à un article nécrologique, publié dans la partie rédactionnelle – et non payante – de cette page. Il arrive que des proches d’un défunt réclament un tel hommage et fournissent un texte au journal, mais celui-ci tient à gérer la rubrique nécrologique en toute liberté.

Rien n’interdit cependant à des lecteurs d’acheter quelques lignes supplémentaires pour rappeler les mérites du défunt. Dans certains cas, il avait lui-même rédigé cette notice de son vivant. ‘Surtout, n’y changez rien et respectez scrupuleusement la présentation’, demandent ses proches. L’équipe du Carnet sait l’importance que représente chaque mot dans de telles circonstances. Une faute d’orthographe ou une virgule mal placée peut modifier le sens d’un texte et bouleverser une famille en deuil. Naturellement, toute erreur entraîne un rectificatif ou une repasse gratuite.

En 1999, la publication, dans le Carnet du Monde, de l’avis de décès d’un citoyen britannique donna lieu à une vive protestation de la famille, qui contestait… la mort de l’intéressé. Celle-ci avait été annoncée par l’un de ses amis. Une affaire dont la police allait se mêler et qui, semble-t-il, n’a pas été éclaircie. Des années plus tôt, des élèves d’un grand lycée parisien avaient eu le mauvais goût d’annoncer qu’un de leurs professeurs – heureusement au meilleur de sa forme – était passé de vie à trépas… Cela a rendu le journal plus vigilant.

Dans sa mise en page, le Carnet du Monde n’a guère changé depuis soixante ans. Son contenu, en revanche, illustre la transformation de la société française depuis la seconde guerre mondiale. Plusieurs rubriques ont disparu : bals, réceptions, ambassades, cérémonies religieuses, distinctions, bienfaisance… On ne trouve plus guère d’annonces du genre : ‘M. et Mme X. sont heureux d’annoncer les fiançailles de leur fils Y. avec Mlle W…’ Les gens sont d’ailleurs désignés le plus souvent par leurs nom et prénom, sans l’abréviation de politesse.

Le pacs a fait son apparition dans le Carnet, et même des annonces de suicide. Les lecteurs du Mondeont ainsi appris, dans le numéro daté 8-9 décembre 2002, que Mireille Jospin-Dandieu (mère de l’ancien premier ministre) avait ‘décidé, dans la sérénité, de quitter la vie à l’âge de 92 ans’. Neuf mois plus tôt, dans un tout autre genre, une cinquantaine de femmes occupant des responsabilités à la Ville de Paris rendaient hommage à leur maire, M. Delanoë : ‘Merci, Bertrand, pour la parité à Paris.’ Un message qui, malgré son caractère politique, avait, cette fois, été publié.

Certaines annonces suscitent des protestations. Ayant lu dans le Carnet du Monde du 8 mai 2003 que ‘le gouverneur des Invalides et le directeur du Musée de l’armée vous invitent à participer à la messe traditionnellement célébrée à la mémoire de l’empereur Napoléon Ier et des soldats de la Grande Armée morts pour la France’, un lecteur de Nancy, Pierre Humbertjean, nous avait fait part, en tant que ‘citoyen laïque et républicain’, de son étonnement et de sa désapprobation.

Chaque année, en plein été, des irréductibles s’offrent une annonce dans la rubrique ‘Anniversaires de décès’. La dernière rappelait : ‘Il y a deux cent neuf ans, le 28 juillet 1794, mouraient Couthon, Le Bas, Robespierre, Robespierre le jeune, Saint-Just et 103 ‘robespierristes’.’ Suivait une citation de Saint-Just : ‘Le gouvernement est corrompu, le peuple est avare et fou.’L’originalité est souvent de mise pour annoncer une naissance. On joue volontiers sur le nom du journal. ‘Laurence, Boris et Niels Audidier, ont la joie de partager Le Monde avec Gabriel né le 6 janvier 2004, à La Rochelle.’ Idem pour les anniversaires : ‘Pour tes cinquante-cinq ans, Dominique, je t’offre Le Monde en espérant le parcourir avec toi encore longtemps. Marie.’ Ou encore : ‘Cinquante ans, ne pas en faire tout un Monde. Bel anniversaire, Jean-Paul.’

Même la mémoire des morts est parfois accompagnée d’un sourire : ‘Georges Ménager (1929-1994). Dix ans ça suffit. Reviens ! On t’aime.’ Lors de la canicule de l’été dernier, qui avait augmenté sensiblement la surface du Carnet, le décès d’un vieillard était signalé de la manière suivante : ‘A l’aube de sa quatre-vingt-dix-septième année, malgré sa vaillance, il n’a pu résister à la chaleur d’étuve de la chambre de sa maison de retraite.’Des annonces bien rédigées font voler toutes les frontières entre rubriques et styles. Celle-ci, par exemple : ‘Il y a un an, à 23 h 30, Tristan Ulysse Pierre Maxime Leperre découvrait le monde à Marseille. Maxime Leperre senior, son grand-père, lui souhaite un joyeux anniversaire. Il est dommage que sa grand-mère, Denise Jacqueline Elisabeth Brigaland, qui a quitté ce monde le 2 septembre dernier, ne puisse bénéficier de son joli sourire.’En parcourant le Carnet, on a parfois l’impression de succomber au voyeurisme, d’entrer par effraction chez des inconnus. Mais, après tout, rien n’oblige des lecteurs à afficher leur vie privée et leurs sentiments. Parfois, n’indiquant que des prénoms, ils ne s’adressent qu’à un petit cercle d’initiés, sinon à eux-mêmes : ‘Joëlle et Jean-Michel ont le bonheur d’annoncer au Monde la naissance de leur amour, survenue cet automne à Paris, dans une lumineuse et transparente intimité.’

Depuis quelques années, au risque de mélanger les genres, le Carnet s’est ouvert à la Saint-Valentin. Là, toutes les fantaisies se manifestent, avec des messages codés : ‘Régine, dis à Oli, Lolo et Mimi que j’accepte de payer la rançon, car tu le vaux bien. Bonne fête. Ton Valentin.’Le Carnet a rapporté 1,8 million d’euros au journal l’an dernier, sur une recette publicitaire totale de 61 millions. La ligne est facturée à 16,50 euros pour les naissances ou mariages, 23 euros pour les décès ou avis de messe et 25 euros pour les colloques ou conférences. Un tarif réduit est accordé aux abonnés ou actionnaires du Monde. Mais les lecteurs ne mesurent pas toujours le coût d’une annonce. Dans un cas sur cinq, ils y renoncent après avoir eu connaissance du montant à payer.

Cependant, l’amour n’a pas de prix. Pour la Saint-Valentin, le mois dernier, un lecteur a offert ces vers à l’élue de son cœur, sans compter les lignes :

Lila,
Comme ton prénom, tu incarnes la nuit,
Tu en possèdes le parfum ystérieux
Qui enivre, rend heureux,
Et égaye la vie.
Je me noie dans tes yeux,
Ces étoiles de braise,
Ces émeraudes chatoyantes
qui mettent Vénus mal à l’aise.
Je m’y plonge pour d’autres mondes
D’où je ne voudrais jamais être parti.
Si on n’est pas sur la même longueur
d’onde,
Sache que tu es mon rêve, mon Univers
ma galaxie.
Laisse-moi goûter tes lèvres.
Que je replonge vers cet Infini.
Appelle-moi.

Abderhamane.