Friday, 22 de November de 2024 ISSN 1519-7670 - Ano 24 - nº 1315

Robert Solé

“Un abonné d´Aix-en-Provence, Daniel Bachasson, nous demande : ‘Quelle est donc l´utilité de cette photo de M. Kofi Annan en première page du Monde (daté 3-4 septembre), vêtu d´un magnifique gilet rouge, dont le logo, particulièrement visible, montre qu´il est d´une marque universellement connue ? Pourquoi une photo de cette taille (environ 1/6 de la page) ? Et pourquoi cette publicité pour une ligne de vêtements ?’

Claude Gintz, d´Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), ironise : ‘La maison Lacoste a été vraiment gâtée en première page. Il ne peut s´agir de la part d´un diplomate aussi éminent que M. Kofi Annan de porter un tricot de contrefaçon.’

La photo en question illustrait un entretien accordé au Monde par le secrétaire général de l´ONU. Elle a été sélectionnée par la rédaction en raison de son originalité. M. Annan apparaît toujours en costume sombre et cravate, alors que cette photo le montrait dans un décor intimiste (lampe, coussins…), en train de converser avec le correspondant du journal.

On n´allait tout de même pas retoucher la photo – fournie par le service de presse des Nations unies – pour effacer le logo ! Après tout, c´est le problème de M. Annan… Comme celui de M. Chirac, qui avait ouvert aux photographes, cet été, la porte de son bureau, au fort de Brégançon : il arborait un tee-shirt de la même marque, ainsi d´ailleurs que son aide de camp…

Une autre photo de première page a fait réagir plusieurs lecteurs : celle (ci-contre) du président Bush, publiée dans Le Monde du 8 septembre.

‘Que veut-on montrer ?, demande Jean-Claude Charrier, de Vertou (Loire-Atlantique). Que George Bush est atteint d´une paralysie faciale ? Qu´il passe son temps à faire des grimaces pour distraire son auditoire ? Que l´évocation des prisons secrètes de la CIA entraîne systématiquement ce rictus chafouin ? Cela me paraît relever davantage de l´enfantillage, de la ‘guignolisation’ de l´information politique, que d´un souci de présentation honnête des personnes. Sans doute s´agissant de George Bush peut-on tout se permettre…’

Jonathan Schiffman (Paris) écrit pour sa part : ‘Bien qu´étant un citoyen américain qui ne supporte pas ce président, je trouve la publication de cette photo de mauvais goût pour un journal de votre niveau. La politique de Bush mérite d´être critiquée, voire tournée en ridicule, mais pas son visage. A force de le ridiculiser, on finit par oublier ses mensonges, la gravité de ses actions, et par s´y habituer.’

La responsable du service photo du Monde, Frédérique Deschamps, fait remarquer qu´il ne s´agissait pas d´une image d´archives, mais d´un instantané, pris pendant le discours du président des Etats-Unis à la Maison Blanche. ‘Nous avons, dit-elle, choisi cette photo de l´agence américaine Associated Press parce qu´elle était à la fois de bonne qualité et frappante. La mimique de George Bush disait son embarras, au moment où il reconnaissait l´existence de prisons secrètes de la CIA et se voyait contraint d´appliquer les conventions de Genève aux détenus de Guantanamo. Nous n´avons pas cherché à le ridiculiser. Cette image n´était ni humiliante ni dégradante.’

Une photo est toujours choisie parmi beaucoup d´autres. Il faut pouvoir échapper aux campagnes de communication des responsables politiques, qui cherchent toujours à apparaître sous leur meilleur jour et à contrôler leur image, sans pour autant se moquer de leurs caractéristiques physiques ni faire de la provocation gratuite. George Bush n´a pas été montré ici en train de mâcher du chewing-gum ou de lutter contre une piqûre de guêpe. La photo a cependant pu paraître cruelle, parce que Le Monde n´a pas l´habitude d´exposer ainsi, en gros plan et en première page, un rictus présidentiel.

Une certaine cohérence s´impose entre le texte et la photo, même si celle-ci n´a pas pour rôle de ‘dire’ ce qui est écrit. A ce propos, un lecteur parisien, Jean-Pierre Valais, a eu raison de s´étonner de la manière dont Le Monde du 31 août illustrait le retour de M. Juppé à Bordeaux. L´article commençait ainsi : ‘En bras de chemise, souriant et décontracté, Alain Juppé n´a pas boudé son plaisir…’ La photo le montrait derrière un micro, assez raide, en complet et cravate.

Ségolène Royal, elle, était nettement plus déshabillée dans Le Monde du 12 août : on l´y voyait en bikini sur une plage. Ces photos, prises sans son assentiment, lors de ses vacances familiales, accompagnaient un article sur ‘les politiques, nouvelles cibles de la presse people’. Elles avaient été publiées par les magazines Closer et VSD.

Un lecteur de Bren (Drôme), Jacques Chion, a vivement réagi : ‘Que vous relatiez les exploits de la presse ‘people’, c´est tout à fait votre droit, cela fait partie de l´information, mais que vous en publiiez les photos mises en cause me semble tout à fait hors de propos. Et même, ajoutez-vous, ce sont des photos ‘volées’. J´en déduis donc que vous vous érigez en complice de voleurs, tout en leur faisant de la publicité.’

En reproduisant ces clichés en couleurs, assortis de leurs titres vulgaires (‘Et dire qu´elle a 53 ans !’), Le Monde a voulu montrer l´objet du délit. Certes… On peut ajouter que ces photos étaient plutôt à l´avantage de la candidate socialiste. Certes, certes…

Il n´empêche que des lecteurs – mais aussi l´auteur de ces lignes – y ont vu une forme d´hypocrisie. En matière de vie privée, où de nouvelles limites risquent d´être franchies d´ici à l´élection présidentielle, il n´est pas toujours cohérent de montrer ou de décrire en détail ce que l´on dénonce. Un journal de qualité ne peut pas jouer sur tous les tableaux.”