‘Un autre Monde ? Oui, et les lecteurs ne s’y sont pas trompés. Depuis le 7 novembre, c’est bien une nouvelle formule, et non une nouvelle maquette, qui leur est proposée.
On aime ou on n’aime pas. Pour le faire savoir, il suffit parfois de quelques mots. ‘Je ne serai pas long : bravo !’, écrit André Claveirole, lecteur depuis 1950. ‘Illisible’, estime en revanche Jean Duchamp, qui venait de s’abonner et se demande s’il ne va pas à nouveau ‘remplacer la lecture du Monde par la sieste’. Marie-Noëlle Castel savoure son plaisir : ‘Le nouveau Monde est arrivé ce matin à Houlgate. Le découvrir assise sur un banc de la promenade, au soleil, avec le bruit des vagues, était un vrai petit bonheur. ‘Il’ est beaucoup plus digeste. Ouf !’
Des centaines de lettres et de courriels… On aura l’occasion d’y revenir. Limitons-nous aujourd’hui à un seul aspect, commenté par beaucoup de lecteurs et qui est au coeur du changement intervenu : le nouveau rapport entre le texte et l’image.
‘Nous avons voulu établir un équilibre beaucoup plus harmonieux entre ces deux éléments, explique Eric Fottorino, directeur délégué de la rédaction, qui a piloté la nouvelle formule. D’une part, réduire la longueur du texte, pour le muscler et lui donner plus d’intensité ; d’autre part, développer l’image et en faire une information significative. Avant, on écrivait des articles ; maintenant, on bâtit des pages.’
Y a-t-il trop de photos dans le nouveau Monde, comme le regrettent certains lecteurs ? Il y en a moins, répond Eric Fottorino, mais elles sont plus visibles, parce que plus grandes et mieux choisies. La taille même peut leur donner du sens, comme cette image d’une zone industrielle qui occupait toute la largeur d’une page dans Le Monde du 17 novembre pour illustrer un article sur la réglementation des produits toxiques : à travers cette forêt de cheminées fumantes, à Ludwigshafen, dans l’ouest de l’Allemagne, la pollution prenait forme…
Le lecteur est arrêté à chaque page. Son oeil se trouve constamment sollicité, par une photo, un dessin ou une infographie. Il tombe sur des sujets inattendus dès le début du journal, comme cette reprise du Cid à l’Académie française, en page 3, là où il pensait sans doute trouver la plus importante des informations internationales.
Ces surprises, ces multiples entrées soulignent la richesse du contenu. ‘On aurait presque envie de tout lire !’, s’exclame, ravi, William Desmond (courriel). Ce n’est pas, comme on pourrait le penser, un clivage entre générations. Lectrice de longue date, Hélène Begon (Tours) n’attendait rien de la nouvelle formule. ‘Eh bien, j’avais tort ! Dans l’espace d’une journée, j’ai retrouvé Le Monde de mon adolescence et de mes études supérieures, Le Monde que je lisais avidement et dont je ne savais quels articles découper tant il y en avait d’utiles et d’importants…’
D’autres ne s’y retrouvent pas. ‘Le Monde mettait un peu d’ordre dans le bordel ambiant, écrit Jean Cartier (courriel). Aujourd’hui, vous introduisez le chaos dans vos pages avec des titres monstrueux, d’énormes espaces vides (de sens ?), une mise en page désordonnée où l’on perd ses repères. Le Monde se farde outrageusement, le rouge est trop violent, le rimmel coule. La plupart des photos, disproportionnées, sont d’un intérêt qui ne mérite pas leur taille.’
L’alchimie de la nouvelle formule tient en partie au dosage entre texte et image. La photo ne doit être ni un bouche-trou ni une décoration, comme l’ont expliqué les concepteurs de la maquette, Ally Palmer et Terry Watson.
L’un des meilleurs exemples en a été donné dans Le Monde du 8 novembre : une photo saisissante de Dominique de Villepin, à l’Assemblée nationale, posant la main sur la tête d’Azouz Begag, son ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances.
Le journal varie d’un numéro à l’autre. La ‘une’, en particulier, n’est plus figée autour d’une manchette sur quatre colonnes : elle change désormais d’aspect tous les jours. La rédaction en chef dispose d’une quinzaine de modèles différents, permettant, entre autres, d’alterner photo et dessin. ‘C’est un jugement d’opportunité au jour le jour, en fonction de l’actualité’, précise Eric Fottorino.
Des lecteurs protestent. Simone Leveaux (courriel) : ‘Collectionneuse des dessins de Plantu, je ne vais tout de même pas découper aujourd’hui la photo de notre premier ministre, Monsieur Galouzeau de Villepin !’ Michel Pfeiffer, de Bras (Var) : ‘Au lieu du dessin, souvent excellent, impertinent, très juste, de Plantu, vous nous mettez une photo sans aucun intérêt, comme on en trouve dans tous les journaux. Vous voulez un journal passe-partout, aseptisé, attrape-mouches ? Je ne paierai pas 1,20 euro tous les jours pour avoir la photo de nos hommes politiques.’
Et Plantu, qu’en pense-t-il ? ‘Mon dessin, dit-il, est un rendez-vous quotidien avec le lecteur. Ouvertement subjectif, il défend un point de vue, parfois avec outrance, et incite au débat. Il apporte si possible une touche d’humour à la première page. Un dessin, pour moi, est censé faire réagir le lecteur. Il lui permet parfois de se venger. C’est le contraire du marketing, du people et d’une image bienveillante et aseptisée qui nous raconte une France au bois dormant.’
La photographie de ‘une’ qui a le plus fait réagir est celle d’Arnold Schwarzenegger, le 10 novembre, amoureusement embrassé par son épouse souriante… après avoir perdu un scrutin en Californie. Pour s’en indigner, Marc Duez (courriel) singe la publicité que Le Monde a choisie pour lancer sa nouvelle formule : ‘Foin info, remettons les choses à leur place. Schwarzy bécotant sa grognasse… Bravo les gars ! L’ennui c’est que vous serez toujours moins bons que d’autres en matière de démagogie et de people.’
Pour défendre les photos de première page, Eric Fottorino rappelle celle du Monde daté 13-14 novembre, où figuraient les quatre artisans de la nouvelle coalition gouvernementale allemande : ‘Chacun semblait prendre ses distances. Ils étaient séparés par leurs ombres… Ici, la photo complétait et valorisait le texte, elle donnait du relief à l’information.’
Innover sans se banaliser : c’est le défi auquel est confrontée la nouvelle formule du Monde, qu’il s’agisse du texte ou de l’image. La rédaction le sait bien : pour exister désormais, un journal doit être non seulement pertinent et fiable, mais unique et indispensable.’