Monday, 25 de November de 2024 ISSN 1519-7670 - Ano 24 - nº 1315

Robert Solé

‘Entre le 14 juillet et le 23 août, pas moins de vingt-huit titres de ‘une’ ont été consacrés à la guerre du Liban. Les lecteurs du Monde, à qui on avait promis un journal de vacances, avec des séries d´été et des articles magazine, se sont vu offrir une actualité ‘chaude’, et même brûlante. Ils ne l´ont pas boudée, si l´on en juge par les ventes du journal et l´abondance du courrier.

Le Proche-Orient entraîne toujours des réactions passionnelles, qui soulignent à quel point notre lectorat est divisé en la matière. Au fil des semaines, le médiateur a été sommé de répondre à des questions biaisées. ‘Je souhaiterais simplement savoir pourquoi Le Monde continue à faire de la désinformation’, m´écrivait le 1er août, sans autre précision, Hassi Abdel Majid (courriel). ‘Comptez-vous persister à alimenter la judéophobie ambiante ?’, me demandait, de manière tout aussi énigmatique, le docteur Gabriel Lévy, de La Penne-sur-Huveaune (Bouches-du-Rhône).

Prenant à partie le médiateur, rappelant qu´il est ‘chargé de veiller au respect des règles professionnelles et déontologiques’, Nathalie Banaigs m´écrit du Royaume-Uni : ‘Relisez donc quelques articles que Le Monde a publiés récemment… Hypocrisie, lâcheté, racisme primaire… Le Monde soutient l´agresseur au mépris de l´agressé, l´oppresseur au mépris de l´opprimé, l´occupant au mépris de l´occupé…’

Il est impossible de se prononcer sur des remarques aussi générales, ne faisant référence à aucun article précis. Et encore moins de répondre au téléphone à des personnes à fleur de peau, dont on s´aperçoit parfois qu´elles ne lisent pas le journal, ou n´y lisent que ce qui les heurte.

La guerre du Liban a éclaté au moment où les deux correspondants du Monde en Israël, Gilles Paris et Stéphanie Le Bars, venaient de terminer leur mandat et de quitter leur poste. Ce qui a conduit à les remplacer en catastrophe par leur successeur, Michel Bôle-Richard, avec l´appui précieux de Benjamin Barthe, qui continuait à couvrir parallèlement les événements de Gaza. Six autres envoyés spéciaux se sont relayés dans la région.

Au cours de cette triste guerre estivale, Le Monde a interviewé vingt et une personnalités. L´entretien qui a eu le plus d´écho est celui du président Chirac (27 juillet), exposant son plan pour sortir de la crise. Les principaux acteurs du conflit – dont le premier ministre israélien et le président du conseil libanais – ont été également interviewés, à l´exception du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, évidemment sollicité, mais qui n´a accordé d´entrevue à aucun média.

Encore plus instructifs ont été des propos d´inconnus, au travers de dizaines de reportages ou de portraits. A Beyrouth, notre correspondante Mouna Naïm décrivait des enfants libanais, invités à monter sur une scène de théâtre pour ‘rire sous les bombes’. A Metulla, un réserviste israélien racontait à Frédéric Bobin ses incursions en territoire libanais à la tête d´une unité d´élite. Cécile Hennion, elle, s´entretenait, dans Nabatiyé bombardée, avec un étrange ‘résistant’ : le patron du café Fichawi, qui exhibait ses pin-up de papier…

Pour la première fois, un correspondant de guerre du Monde était accompagné d´un photographe : Jérôme Sessini a donné son propre regard sur les villes dévastées du Liban sud. D´autres images, reçues à Paris et provenant d´agences de presse, étaient sélectionnées au jour le jour.

Le Monde, qui a découvert récemment la photo d´actualité, n´a pas encore une politique bien définie dans ce domaine. On privilégie les images significatives, frappantes, mais sans chercher à choquer, notamment en première page. Le lendemain du bombardement israélien à Cana, par exemple, la photo de ‘une’ montrait essentiellement les sauveteurs s´affairant dans les décombres, alors qu´une image plus dure – le cadavre d´un enfant, porté à bout de bras – était en page intérieure. Les lecteurs réagissent à ces illustrations avec autant de vivacité qu´aux articles : ‘Comment pouvez-vous faire la ‘une’ du 15 août avec une photo de soldats israéliens joyeux faisant le V de la victoire ?’, s´indigne Marianne Barrière (courriel).

Le Monde du 28 juillet a publié un ‘témoignage’ de Bernard-Henri Lévy, qui était un plaidoyer en faveur d´Israël. Ce texte fleuve, dans lequel l´auteur parlait beaucoup de lui-même, n´a pas eu d´équivalent dans l´autre camp. Pour le reste, les opinions extérieures étaient très équilibrées. Et, en même temps assez proches les unes des autres : elles exprimaient souvent les mêmes souhaits (une coexistence pacifique de deux Etats, israélien et palestinien) et les mêmes regrets (sur les erreurs des Américains ou la timidité des Européens).

Ces propos modérés semblent bien éloignés des sentiments qui, de part et d´autre, alimentent la violence au Proche-Orient. Dans les colonnes du Monde, on n´entend ni les partisans du ‘Grand Israël’ ni ceux qui veulent effacer ce pays de la carte. Y ont-ils leur place ? La question peut être posée.

Quant à sa propre opinion sur les événements, le journal l´a exprimée à dix reprises entre le 14 juillet et le 16 août : une fois sous la plume de son directeur et neuf fois par un éditorial non signé.

Ces commentaires se voulaient équilibrés, tenant compte des arguments des deux camps. Mais c´est précisément cet équilibre qui est jugé insupportable par certains lecteurs. Guillaume Edibe, de L´Haÿ-les-Roses (Hauts-de-Seine), dénonce ‘le silence assourdissant du Monde’ devant les bombardements israéliens, tandis que Christian Marconnot, de Draguignan (Var), demande : ‘Quel autre pays qu´Israël pourrait violer les frontières d´un voisin, le bombarder jour et nuit, tuer des centaines de civils innocents sans qu´il suscite une condamnation immédiate ?’ En sens inverse, Michel Viallon (courriel) écrit : ‘A vous lire, j´ai l´impression que le Hezbollah est la victime et non l´agresseur, que l´existence même d´Israël n´est pas en cause.’

Pro-arabe, Le Monde ? Pro-israélien ? Ces qualificatifs s´appliquent mal à un quotidien indépendant qui tente de relater, au jour le jour, un drame inextricable. D´un article à l´autre, les lecteurs notent des inflexions différentes. En effet, Le Monde n´est pas uniforme. Faut-il s´en plaindre ? La richesse d´un journal, c´est aussi la diversité des sensibilités de ses journalistes. Sachant que l´essentiel ne se trouve pas dans les commentaires, mais dans une information et des analyses aussi exactes que possible.’