‘Les banlieues nous valent naturellement un flot de courrier. Points de vue, réflexions, témoignages, cris du coeur, rectificatifs, protestations… Les différences d’opinions et de sensibilités des lecteurs du Monde se cristallisent souvent autour de Nicolas Sarkozy. Certains reprochent au journal de lui faire porter tous les péchés du monde ; d’autres, au contraire, de lui préparer le chemin de l’Elysée.
Jean-Louis Lerède (Saint-Denis) ne comprend pas qu’une tribune ait été accordée au ministre de l’intérieur dans le numéro daté 6-7 novembre. ‘Ainsi, entre deux tirs de flash balls, vous avez choisi de valoriser le petit pyromane de ma banlieue. Comme si la ‘une’ ne suffisait pas à son édification, le lecteur a le droit (et le devoir ?) de lire une honteuse et interminable tribune pro domo de l’aboyeur patenté contre la racaille…’
Passe encore que Le Monde donne la parole à Nicolas Sarkozy, nous écrit Michel Krassilchik (courriel), mais vous ne devriez le faire que sous forme d’interview : ‘Il vous revient de prendre l’initiative et de poser les questions.’ En somme, réserver au président de l’UMP le même traitement qu’aux dirigeants du Front national…
A l’inverse, Ioannis Papadopoulos (courriel) a buté sur la phrase suivante dans l’éditorial du 5 novembre : ‘Aux provocations d’un Nicolas Sarkozy répond la bêtise d’adolescents qui ruinent un fragile tissu économique et brûlent les bus empruntés par leurs familles.’ Il a été scandalisé que l’on mette ainsi sur le même plan ‘le langage certes ‘musclé’ du ministre de l’intérieur et des actes extrêmement graves’. En l’écrivant, ajoute-t-il, ‘vous perdez votre crédibilité, dans la mesure où transparaît votre angoisse compréhensible de faire barrage au phénomène politique qui s’appelle Sarkozy’.
Un lecteur de Bruxelles, Antoine Gilbert, élargit la critique : ‘Vos descriptions et analyses sont sans surprise : survictimisation et exonération de toute responsabilité individuelle pour les casseurs, traitement minimaliste du niveau inouï des violences et opprobre jeté sur le Grand Méchant Sarkozy. En deux mots : politiquement correct. Ou convenu.’
C’est un article du 8 novembre qui a fait bondir André Muller, de Guebwiller (Haut-Rhin). On y revenait sur ‘le terme de ‘racaille’ employé sans ménagement (par M. Sarkozy) ni réflexion à l’adresse de quelques jeunes qui l’insultaient’. Protestation de M. Muller : ‘Eh non, ce n’est pas de l’information fiable, mais du colportage de rumeurs non vérifiées. Nicolas Sarkozy ne s’adressait pas aux jeunes, mais répondait à une habitante qui l’interpellait de son balcon, en utilisant elle-même le mot racaille. Cela fait quelques jours que l’émission télévisée ‘Arrêt sur image’ a dégonflé cette baudruche. Et vous, vous continuez à valider l’information…’
Il faudrait que Le Monde éclaircisse à son tour ce point d’histoire. Sachant que de toute manière le ministre a prononcé le mot ‘racaille’ et que celui-ci a déjà fait bien des dégâts. Certains termes sont irrattrapables, quelles que soient les circonstances ou l’intention de leur auteur.
‘Vous parlez sans cesse de Nicolas Sarkozy, c’est une véritable obsession, écrit Nathalie Masset-Caudron (courriel). Tout de même, ce n’est pas uniquement parce qu’il a encore sorti des conneries que les banlieues ont pris feu !’ Cette lectrice reproche surtout au Monde d’avoir fait ‘deux poids, deux mesures’ dans le traitement des événements. ‘Vous avez eu raison de publier plusieurs articles sur la mort des deux adolescents de Clichy-sous-Bois poursuivis par la police. C’est vrai, c’était horrible. Mais pourquoi un simple entrefilet sur la mort directement provoquée celle-là de cet homme à Epinay, roué de coups sous les yeux de sa femme et de sa fille ? Je peux vous dire que vous faites royalement le lit du Front national !’
En effet, un homme de 56 ans a été battu à mort dans la cité Orgemont, à Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), tandis qu’il prenait des photos de lampadaires. Le Monde du 31 octobre a relaté les faits en une quinzaine de lignes. Dans le numéro du lendemain, une dépêche d’agence indiquait que deux suspects avaient été mis en examen et qu’un troisième était recherché. Puis, plus rien. Il a fallu attendre le numéro du 10 novembre pour avoir enfin un véritable article sur ce lynchage meurtrier.
Depuis le drame de Chichy-sous-Bois, Le Monde a largement couvert les événements de banlieue, avec des reportages, des enquêtes, des informations exclusives et des éclairages originaux. Mais il n’a pas accordé assez d’attention à certains faits, comme le meurtre d’Epinay, qui allaient avoir beaucoup d’impact sur une partie de l’opinion et de ses lecteurs.
De tels ratages contribuent à entretenir l’image d’un journal qui occulte une partie de la réalité pour ne pas nourrir le racisme anti-immigrés. Cette approche idéologique n’est pas celle de la rédaction aujourd’hui, mais des lecteurs s’appuient sur le moindre détail parfois une simple légende de photo pour faire au Monde un procès plus général, et souvent rétroactif. ‘Au cours des vingt dernières années, vous avez très largement participé au tabou de l’immigration, écrit François Kremper, de Louveciennes (Yvelines). J’estime que la responsabilité des journalistes du Monde est écrasante.’ Même tonalité dans un courriel de François Buisson : ‘Votre distribution de bons et mauvais points est pour le moins indécente : comme si vous n’étiez pour rien dans ce fiasco social.’
Philippe Brier (courriel) nous ramène, lui, aux événements actuels : ‘Vous vous indignez du ‘destin fracassé des jeunes gens jugés à Bobigny’. Moi, c’est le destin de la femme brûlée vive à Sevran et celui de l’homme battu à mort à Epinay qui m’indigne ! Vous ne comprenez vraiment rien, bien à l’abri dans vos jolis apparts de la rive gauche !’
Une quinzaine de lignes avaient été consacrées dans Le Monde du 7 novembre à la quinquagénaire handicapée, gravement brûlée au cours de l’attaque d’un bus à Sevran (Seine-Saint-Denis). Le conducteur avait été blessé en lui portant secours.
On a appris par une brève, dans Le Monde du 10 novembre, qu’il s’appelle Mohamed Tadjer et qu’il a été nommé, à titre exceptionnel, au grade de chevalier de l’ordre national du Mérite, sur proposition du président de la République.’