‘Près de la moitié (44 %) des lecteurs du Monde sont… des lectrices. Au vu du courrier, on ne le croirait pas : les textes que nous recevons portent très majoritairement des signatures masculines. Allez savoir pourquoi…
Cette disproportion s’atténue cependant à propos de certains thèmes d’actualité. Le désastre judiciaire d’Outreau, par exemple, a conduit davantage de lectrices à s’exprimer. Et lorsqu’une femme – Ségolène Royal en l’occurrence – surgit sur le devant de la scène pour devenir l’objet même du débat, le courrier atteint la parité.
De nombreuses lectrices avaient réagi, en janvier, après des commentaires ironiques du Monde sur sa visite au Chili. Il y était notamment question des escarpins qu’elle portait dans les quartiers pauvres de Puente Alto… Elisabeth Charlaix, professeur de physique à l’université Lyon-I, nous avait apostrophés : ‘Est-ce à ce point insupportable qu’une femme brigue la fonction présidentielle en France, qu’elle soigne son image avec la même énergie que les hommes, et que ça marche ? Messieurs de la presse, un peu de décence, surveillez-vous, vous aviez déjà donné un triste spectacle avec Edith Cresson. Même si vous ne supportez viscéralement pas qu’une femme veuille obtenir un réel pouvoir en politique, prenez au moins la peine de donner le change.’
Elisabeth Lanoë (courriel) m’écrivait de son côté : ‘Monsieur le médiateur, il serait bien, dans un but de stricte politesse ou courtoisie, que soit mis fin à la perfidie de vos journalistes contre Ségolène Royal. Avec elle, vous vous croyez tout permis. Etes-vous inconscients ? Ne vivez-vous qu’entre hommes ? Où sont les femmes ?’
Elles sont là ! Le Monde compte exactement 42,96 % de rédactrices, une proportion à peu près égale à celle des lectrices. Elles ne sont ni plus ni moins ‘royalistes’ que leurs collègues masculins. C’est néanmoins sous la signature d’une journaliste, Sylvie Kauffmann, que devait être publiée (dans Le Monde du 3 février) l’analyse la plus vigoureuse contre le machisme politico-médiatique.
On n’en est plus là. Le débat porte désormais sur les idées avancées par celle qui était soupçonnée ne pas en avoir. La lutte contre la délinquance, par exemple, divise profondément les lecteurs du Monde, quel que soit leur sexe.
André Maillé, de Châteauroux (Indre), salue la ‘vaillante Ségolène Royal, qui n’hésite pas à lancer de grands coups de pied dans les miches de ses camarades !’. Par ‘miches’, il entend ‘ce pain idéologique dont ils nous nourrissent depuis des années, colorées et recuites en surface, pâles et insipides à l’intérieur, et dégageant un parfum de moisi’. L’étal de la présidente de Poitou-Charentes lui paraît ‘plus engageant’.
Au contraire, Anne Torunczyk (Aix-en-Provence) a été choquée par l’indulgence du Monde pour les propos sécuritaires de la candidate socialiste : ‘Quelle immense déception de lire dans le numéro daté 4-5 juin votre éditorial plein d’admiration pour une Ségolène Royal qui aurait enfin su faire preuve de fermeté et affronter Sarkozy sur son terrain ! Quel courage, en effet ! Stigmatiser des jeunes à qui on n’offre comme perspective que l’échec scolaire et social, et leur délivrer comme seul message d’espoir la menace de les faire encadrer par l’armée et de les enfermer ; montrer du doigt ces boucs émissaires si commodes que sont les parents de ces jeunes, des parents enfermés eux aussi dans la précarité, en détresse sociale et économique, désarmés, débordés…’
Accusé de machisme il y a quelques mois, voilà Le Monde soupçonné maintenant – mais pas par les mêmes – de ségolisme aigu. Après les escarpins, les gros sabots ? Dès le 27 avril, Frédéric Buraud (Lorient) se plaignait : ‘Je commence à en avoir plus qu’assez de la place grandissante prise par les articles faisant écho, au moindre battement de cils, de Mme Ségolène Royal. Le Monde serait-il envoûté par le chant mélodieux de cette photogénique personne ? Plus sérieusement, en ferait-il sa favorite à la présidentielle ? Si oui, qu’il le dise, les choses seraient claires.’
Affirmer et répéter que Le Monde ne ‘roule’ pour aucun candidat ne sert à rien : l’indépendance se démontre, jour après jour, par une présentation équilibrée des différentes candidatures, une analyse pertinente de l’actualité politique et une stricte distinction entre information et commentaire.
C’est un fait : Ségolène Royal intéresse les Français, y compris ceux qui la dénigrent. Elle inspire des lecteurs du Monde, qui exercent à son propos leurs talents de billettistes.
Ainsi, Guy-Patrick Sainderichin (courriel) : ‘Mme Ségolène Royal s’interroge sur le nom à donner au courant politique que suscite sa candidature éventuelle à la présidence de la République. Comme ‘royalisme’ ne lui convient guère, elle suggère le pas très heureux ‘ségolisme’. On pourrait sans doute, sans aménité, lui préférer le ‘ségoïsme’. Mais tout laisse à penser, hélas ! que c’est l’élégant ‘ségocentrisme’ qui se rapproche le plus de la vérité.’
D’Agadir (Maroc), Hugues Haemmerlé jongle, lui aussi, avec les mots : ‘Voici Ségolène ‘candidate putative du PS’ grâce à un éditorial du Monde daté 4-5 juin 2006 ! Indépendamment du fait que l’adjectif ‘putatif, ive’ est classé dans le dictionnaire entre ‘putassier, ière’ et ‘pute’, ce qui induit de déplaisantes connotations, il ne semble pas avoir été employé à bon escient. En effet, Mme Royal ne prétend pas ‘être ce qu’elle n’est pas’ encore. Reste l’allitération, son pouvoir d’hypnose. Reprise, en sourdine d’abord, en choeur ensuite, elle finira, peut-être, par faire de Ségolène la ‘candidate officielle’ du PS.’
Certains lecteurs la voient déjà à l’Elysée. C’est le cas de François Chatain (Boulogne-Billancourt), qui nous annonce, dans la foulée… Nicolas Sarkozy à Matignon, après une victoire de l’UMP aux législatives. ‘Ce schéma de cohabitation, affirme-t-il, horrifierait nombre de dirigeants politiques de droite comme de gauche, mais pas une majorité de Français qui apprécieraient le renouvellement du personnel politique, et sans doute aussi des idées, sans donner un pouvoir excessif à l’un ou l’autre camp.’
Elisabeth Humbert-Dorfmüllerse, lectrice d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), se demande ‘si le désir des Français d’avoir une femme présidente ne s’est pas matérialisé avec l’ascension d’Angela Merkel en Allemagne’. Et elle se prend à rêver d’un nouveau ‘couple franco-allemand’, réunissant encore une fois deux personnalités de bords politiques différents : après Giscard-Schmidt, Mitterrand-Kohl et Chirac-Schröder, pourquoi pas une Française de gauche et une Allemande de droite ? ‘Ne serait-ce pas le signe que nous sommes bien entrés dans le XXIe siècle ?’’