‘Je redouble, tu redoubles, il redouble… Curieux, ce verbe qui a l´air de multiplier la sanction par deux : pourquoi dit-on redoubler (et pas doubler) une classe ? Depuis des lustres, plus d´un cancre aura eu l´occasion de méditer ce mystère de la langue française…
Toujours est-il que le sujet est ultrasensible et que le ministre de l´éducation nationale, François Fillon, ne l´a pas abordé par hasard dans Le Mondedu 27 mai. Mesurant soigneusement ses mots, il s´est demandé si la loi de 1989, qui enlève aux enseignants leur pouvoir de décision en matière de redoublement, n´est pas allée ‘trop loin’.
Aujourd´hui, les parents peuvent faire appel d´une telle mesure. Ils sont même en droit de s´opposer au redoublement de leur enfant au milieu d´un cycle scolaire, c´est-à-dire en fin de cinquième ou de première.
Le Monde du 28 mai a publié une page entière sur la question soulevée par le ministre. Notamment un article de Martine Laronche, qui avait pour titre ‘Le redoublement accroît le risque d´échec scolaire’. L´explication était donnée dans le sous-titre : ‘Une étude confirme l´inefficacité et les effets pénalisants de cette pratique pédagogique, surtout à l´école primaire : moins de 10 % des élèves ayant redoublé la classe de CP obtiennent leur bac.’
Le document en question a été établi à la direction de l´étude et de la prospective (DEP) du ministère. Il confirme, selon l´article du Monde, toutes les critiques portées depuis vingt-cinq ans au redoublement à l´école primaire : c´est une pratique pénalisante et inutile, voire contre-productive ; elle fait perdre à l´élève sa confiance en soi et l´amène à réduire ses ambitions scolaires ; enfin, en abîmant son image auprès des enseignants, elle influe de manière négative sur son orientation.
Virginie Malingre enfonçait le clou dans un autre article, consacré à des comparaisons internationales. Non seulement, expliquait-elle, le redoublement n´améliore pas les résultats des élèves, mais il tend à les amoindrir. La Finlande, qui pratique la promotion automatique, obtient les meilleurs résultats scolaires, alors que le Portugal, champion d´Europe du redoublement, arrive en queue de peloton.
Immédiatement, des enseignants ont pris la plume pour protester. ‘Pris la plume’ n´est pas, à vrai dire, le terme qui convient, puisque 90 % des textes nous sont parvenus par voie électronique, ce qui souligne au passage que les habitudes changent, même à l´éducation nationale… Mais ne nous éloignons pas du sujet. Sur le redoublement, c´est en général un courrier bien rédigé, argumenté et un peu excédé. Un courrier d´enseignants.
La démonstration statistique reprise par Le Mondene convainc nullement Claude Poncet, de Clery (Savoie) : ‘Vous laissez entendre que le redoublement génère de l´échec scolaire ! Je dois avouer que jusqu´à présent j´avais toujours été convaincu du contraire : l´échec scolaire est à l´origine du redoublement.’ Roger Felts (Marseille) s´étonne, lui aussi, de ‘ce syndrome d´inversion des concepts’. Et il ironise : ‘On nous fait ‘découvrir’ que ceux qui redoublent auront, au bout du compte, des résultats inférieurs à ceux qui ne redoublent pas. Comme si un chercheur découvrait que les bons élèves ont de meilleurs résultats que les mauvais ! C´est l´inverse qui serait intéressant… Je fais le pari que cela ne saurait tarder (Ah ! les délices du cancre porteur de vérité !)… La statistique, c´est l´art de faire dire aux chiffres ce que l´on veut afin de conduire la politique que l´on souhaite.’
Mireille Grandval, d´Edimbourg (Grande-Bretagne), soupçonne à ce propos les pouvoirs publics d´avoir maquillé des considérations budgétaires en choix pédagogique : ‘Un élève qui redouble coûtant cher à la collectivité, la loi Jospin de 1989 a restreint les possibilités de redoublement. On fait passer l´élève dans la classe supérieure malgré ses lacunes qui ne seront jamais comblées. On ne se demande pas non plus ce que coûteront à la collectivité tous ces ‘mal appris’ qui se retrouveront au collège et sortiront du système sans qualification.’ Pour elle, faire redoubler le cours préparatoire (CP) à un élève qui ne sait pas lire relève du simple bon sens et ne mérite pas tout ce tintamarre : ‘Envoie-t-on dans le grand bassin un enfant qui ne sait pas nager ?’
Jean-Marc Salotti (courriel) n´a pas été convaincu par le raisonnement statistique de l´étude citée par Le Monde : ‘Vous avez parfaitement raison d´écrire que ‘plus le redoublement intervient tôt, plus il est, en moyenne, associé à une faible réussite scolaire’, car cela découle directement de l´analyse directe des données. En revanche, dire que le redoublement ‘accroît’ le risque d´échec, c´est passer de l´analyse mathématique à l´interprétation des données, en attribuant un aspect causal au redoublement. Or, il existe un grand nombre de paramètres qui influent à la fois sur le redoublement et sur la réussite scolaire finale.’
Pour ou contre le redoublement ? Plusieurs lecteurs refusent de poser le problème en ces termes. ‘Mes trente années d´expérience en tant que professeur au collège et au lycée, écrit Alain Hubaut, de Vigneux (Essonne), m´ont permis de voir des redoublements tout à fait bénéfiques et aussi un bon nombre de ‘redoublements gâchis’ car très mal vécus par l´élève et surtout son entourage. Tout dépend de l´état d´esprit dans lequel un redoublement est abordé.’
C´est aussi l´avis de Bernard Laplagne (Madrid), qui a longtemps été inspecteur de l´éducation nationale : ‘Le redoublement n´est ‘une chance supplémentaire et gratuite’ que s´il fait l´objet d´une prise en charge spécifique, c´est-à-dire si les enseignants, dans le cadre d´un projet pédagogique bien identifié, prennent la peine d´éviter la reprise à l´identique de l´année de scolarité. Et si les parents n´adhèrent pas à un tel projet pour leurs enfants, l´échec est quasiment assuré.’
Echec donc pour le redoublant mal entouré, mais échec, tout autant, pour l´élève en difficulté hissé dans la classe supérieure, où il ne bénéficiera pas d´un accompagnement particulier. Les enseignants vivent très mal de telles situations : on nous oblige, disent-ils, à accepter ces élèves, sans nous donner les moyens de les aider.
Toute la classe s´en trouve pénalisée, si l´on en croit Michel Audoyer, de Moissac (Tarn-et-Garonne) : ‘Je veux bien admettre que le redoublement n´est pas (dans la majorité des cas) efficace pour faire progresser l´élève qui y est contraint. Mais enfin, il ne sert pas seulement à lui faire plaisir. Si tous les colonels ne passent pas généraux, c´est aussi dans l´intérêt de leurs subordonnés ! Le redoublement sert aussi aux autres élèves, car il permet d´alléger la classe de ceux qui la retarderaient de manière excessive et parce qu´il entretient une pression favorable au travail de tous…’
Le débat, on le voit, ne manque pas d´intérêt. Le Monde a eu raison de rebondir dès le lendemain sur les propos du ministre en consacrant une page au redoublement, avec un éclairage international. Mais la manière de présenter ce dossier (‘Le redoublement accroît le risque d´échec scolaire’) donnait l´impression que l´échec scolaire était provoqué par le redoublement, alors qu´on voulait souligner que celui-ci n´est pas la bonne solution. Sans doute manquait-il aussi, dans cette page, les arguments détaillés de ceux qui pensent autrement.’