Thursday, 21 de November de 2024 ISSN 1519-7670 - Ano 24 - nº 1315

Robert Solé

‘La présidente de la Société des agrégés de l´Université, Geneviève Zehringer, n´est pas contente du Monde. Comment a-t-il ‘pu s´autoriser à désigner les professeurs comme des ‘profs’, non seulement dans le corps d´un article du 6 octobre, mais dans le titre’ ? Même les guillemets, qui auraient pu ‘ôter son caractère offensant’ à ‘un sobriquet aussi vulgaire, aussi goujat’, étaient absents.

Mme Zehringer se dit ‘certaine’ que son indignation est partagée par ‘les jeunes professeurs qui, tout autant que leurs aînés, aimeraient être désignés par un terme correct, dans l´intérêt même des élèves’. Que diraient les représentants des autres professions, demande-t-elle, s´ils étaient traités de ‘toubibs’, de ‘flics’, de ‘bouseux’, de ‘potards’ ou d’écrivassiers’ ?

Je ne suis pas sûr que ‘profs’ ait un caractère offensant. Les intéressés s´autodésignent souvent ainsi, sans dérision. Depuis longtemps, l´éducation nationale est propice aux apocopes (faire tomber la fin des mots) : on dit fac, math, instit´… Tout dépend dans quel contexte ces termes sont utilisés. Un journal n´a pas plus de raison de s´en priver que de les employer de manière systématique.

Ce n´est pas pour une affaire de vocabulaire que, dans ce même numéro du 6 octobre, un article consacré à la psychothérapie a provoqué une tempête. Plus qu´un diminutif, ‘psys’ apparaît comme une quasi-nécessité. Comment désigner autrement les quatre composantes de cet univers complexe : psychiatres, psychanalystes, psychologues et psychothérapeutes ?

L´an dernier, un député UMP, Bernard Accoyer, avait provoqué un beau tollé en voulant réglementer la pratique de la psychothérapie. Celle-ci, selon lui, devait être réservée aux médecins psychiatres et aux médecins psychologues. Son projet s´est heurté, entre autres, à une alliance inédite entre des psychanalystes et des psychothérapeutes.

Finalement, il a été décidé que le titre de psychothérapeute serait réservé aux praticiens inscrits sur un registre national. Y figureront, de droit, les médecins, les psychologues titulaires d´un diplôme d´Etat et les psychanalystes régulièrement enregistrés dans les annuaires de leurs associations. Pour les autres, une formation pratique et théorique en psychopathologie clinique sera nécessaire, mais des décrets d´application doivent encore en préciser le contenu.

L´incertitude qui entoure ces textes explique en partie la vivacité des réactions à l´article du 6 octobre, intitulé ‘Comment choisir son thérapeute’. Catherine Vincent y écrivait notamment : ‘Le choix du thérapeute sur lequel nous jetons notre dévolu relève, dans la grande majorité des cas, de la loterie. (…) Dans les pages jaunes de l´annuaire téléphonique, sur Internet, dans les petites annonces des journaux, les psys sont désormais partout. Les vrais comme les faux. (…) Aux côtés des techniques validées par la science ou la médecine, on propose aujourd´hui tout et n´importe quoi. (…) Aux côtés des 13 400 médecins psychiatres, 35 000 psychologues et 6 000 psychanalystes membres d´une société reconnue, on trouve ainsi, dans la sphère ‘psy’ exerçant actuellement en France, quelque 12 000 psychothérapeutes de formation vague, dont la pratique n´offre aucune garantie de mieux-être ni d´innocuité.’ Cette dernière phrase a d´autant plus choqué qu´elle figurait en exergue.

‘Assimiler les psychothérapeutes à des charlatans, c´est de la diffamation, affirme le docteur Charles Gellman, neuropsychiatre, président du Syndicat des psychothérapeutes médecins (SNPM). La majorité d´entre eux sont affiliés à des organismes qui valident leur thérapie personnelle, leurs études théoriques et cliniques durant cinq à sept ans, leur supervision pendant la durée de leur pratique professionnelle et leur adhésion écrite à un code de déontologie.’

Apportant un témoignage personnel, Joëlle Laporte-Maudire (La Rochelle) écrit : ‘J´exerce ce métier depuis dix ans, après avoir été enseignante pendant quinze ans. Pour y parvenir, j´ai effectué une psychothérapie personnelle de plusieurs années, puis une formation de plus de huit cents heures. J´ai ensuite parcouru le chemin ardu de la psychanalyse et je continue de me faire accompagner par un psychanalyste, en supervision régulière, dans l´exercice de ma pratique professionnelle. (…) C´est principalement parce que j´ai traversé mes propres angoisses, notamment à travers la psychanalyse, que je peux accompagner les personnes qui en ont besoin sur ce chemin-là.’

Après avoir dénoncé pour sa part ‘un amalgame regrettable’, Serge Ginger, secrétaire général de la Fédération française de psychothérapie, remarque : ‘Il est longuement question dans l´article de quelques charlatans infiltrés dans cette profession, mais jamais des professionnels sérieux, formés en sept années après le bac (niveau exigé pour postuler au certificat européen de psychothérapie), non pas ‘autoproclamés’ mais dûment certifiés et supervisés.’ Il ajoute : ‘Votre rôle est de mieux éclairer vos lecteurs, qui doivent demeurer prudents sans devenir paranoïaques.’

C´est ce que dit à sa manière Catherine Loury (Paris) : ‘Cet article ne peut que désorienter les personnes en recherche de thérapeute et fortement perturber les plus fragiles parmi celles qui sont actuellement en thérapie.’

Philippe Grauer, président du Syndicat national des praticiens en psychothérapie, n´est pas moins critique. ‘ Le Monde, écrit-il, nous avait accoutumés à plus d´acuité, de profondeur d´analyse et de pertinence.’ Contestant les chiffres avancés par Catherine Vincent, il lui reproche de n´avoir mentionné ni les cursus de formation à la psychothérapie, ni les instituts agréés, qui œuvrent depuis un quart de siècle pour imposer une déontologie et fixer des critères de titularisation.

Catherine Vincent n´est pas suspecte de désintérêt pour les ‘psys’. C´est elle qui rédige deux fois par mois la page Psychologie créée par Le Monde en janvier 2003. Elle y traite de sujets aussi divers que les secrets de famille, le sentiment amoureux, le deuil ou les enfants tyrans. Les professionnels auxquels elle a donné la parole depuis deux ans appartiennent à des ‘écoles’ très diverses. S´y ajoutent à l´occasion des sociologues, des ethnologues ou des historiens.

‘Mon propos, explique Catherine Vincent, n´était pas de jeter l´anathème sur les psychothérapeutes, quelle que soit leur formation. J´ai simplement voulu alerter nos lecteurs sur la difficulté de s´y retrouver dans la ‘nébuleuse psy’. Dans l´attente des décrets d´application, il m´a semblé préférable de n´indiquer les coordonnées d´aucun organisme.’

Reconnaissant que ‘cela a pu laisser des lecteurs perplexes et donné aux professionnels la désagréable impression que les psychothérapeutes seraient tous des charlatans’, elle me communique les adresses de trois organismes au moins qui mériteraient d´être cités :

– Le Syndicat national des praticiens en psychothérapie (SNPpsy) – fondé en 1981, il regroupe plusieurs centaines de psychothérapeutes, psychanalystes et psychiatres –, 77, rue des Archives, 75003 Paris, tél. : 01-44-54-32-00. Site Internet : www.snppsy.org

– La Fédération française de psychothérapie (FFdP) – créée en 1995, réunissant une cinquantaine d´organismes et plus de 3 000 membres certifiés, elle participe à l´attribution du certificat européen de psychothérapie –, 2 bis, rue Scheffer, 75116 Paris, tél. : 01-44-05-95-50. Site Internet : www.psychotherapie.asso.fr

– L´Association fédérative française des organismes de psychothérapie (Affop) – dernière-née, elle compte plusieurs milliers de membres, qui se réclament du même code de déontologie –, 6, rue Beauregard, 75002 Paris, tél. : 01-42-36-91-44. Site Internet : www.affop.org

Pour bien faire, il faudrait citer aussi des associations d´usagers (www.assistance-usagers-psy.com) et souhaiter aux candidats à une psychothérapie de savoir frapper à la bonne porte. Non pas comme Sandrine Bonnaire, dans le film de Patrice Leconte Confidences trop intimes, qui avait sonné par erreur chez un conseiller fiscal…’