‘Jeudi 8 septembre, dans l´après-midi, en gare de Dijon, Christian Bonsacquet achète Le Monde comme d´habitude avant de prendre son TER quotidien pour rentrer à Besançon. Bien assis, il parcourt le journal. Et, là, il éprouve un sentiment étrange. ‘Une impression de déjà lu. Je me demande ce qui m´arrive. Alzheimer ?’ Aussitôt arrivé chez lui, il compare ce numéro avec celui de la veille. ‘Ben non, j´avais bien lu la même chose : l´interview de Sarkozy (p. 7 dans le numéro daté jeudi, p. 8 le vendredi) ; ‘Le gouvernement veut punir plus sévèrement les terroristes’ (p. 10 le jeudi, p. 9 le vendredi) ; ‘L´insatiable appétit de la Chine…’ (p. 15 le jeudi, p. 13 le vendredi)’ Il se précipite sur son ordinateur : ‘Qu´est-ce qui se passe ? Ça ne m´est jamais arrivé. Rassurez-moi, monsieur le médiateur !’
Jean-Louis Labarrière, lui, est un abonné de Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine), qui se fait livrer Le Monde par porteur. ‘J´ai l´habitude d´ouvrir mon journal favori (que je lis quotidiennement de A à Z) en début de soirée, en sirotant un scotch réparateur de ma dure journée de labeur… Or, v´là-t´y-pas que, jeudi 8 septembre, j´ai cru que j´avais abusé. P. 8, la même photo que la veille de notre cher Sarko national, et la même interview. Bon Dieu, me dis-je, comment est-ce possible ? Quelle bourde !’ Mais, p. 9 aussi, les mêmes articles que la veille. L´étonnement commence à se transformer en courroux. ‘P. 12, p. 14… J´enrage. Trop, c´est trop ! Ce qui finit de m´achever, c´est, p. 13, la republication du deuxième volet de l´enquête sur le pétrole, parue la veille, mais cette fois suivie de son troisième volet, comme si on essayait de rattraper une erreur…’
Certains lecteurs ont protesté sur le mode ironique. ‘Me ferez-vous une ristourne sur le numéro du 9 septembre ? demande Jacques Furet, de Tassin-la-Demi-Lune (Rhône). Est-ce un gag ou une nouvelle politique éditoriale ? Suffira-t-il d´acheter Le Monde un jour sur deux ?’ Et Louis Maupoint, de Saint-Martin-de-la-Place (Maine-et-Loire) : ‘Que vous arrive-t-il ? On repatine les pages du jeudi pour les ressortir le vendredi ? Y a-t-il un secrétaire de rédaction dans la salle ?’
L´interview de Nicolas Sarkozy, deux fois publiée, a donné lieu à quelques franches rigolades : ‘On savait que Sarko était partout à la fois, mais à ce point-là…’ , remarque Jean-Michel Hélary, Rennes. Elle a suscité aussi des interrogations qui m´ont, je dois dire, stupéfait. ‘Auriez-vous subi des pressions pour rééditer ce texte ?’ , demande ¬ sans rire ¬ un lecteur du Chesnay (Yvelines). Comme si Le Monde était mis en page au ministère de l´intérieur…
Dans cet entretien, Nicolas Sarkozy affirmait : ‘La presse est dans l´immédiateté : vous avez un journal à faire pour le lendemain, j´ai une perspective à tracer pour l´avenir de la France et la vie quotidienne des Français.’ Est-ce pour illustrer le propos que Le Monde , trop pressé, a remis le couvert vingt-quatre heures plus tard ? demande Lydie Pearl, maître de conférences à Bordeaux-III ‘Certes, il y a quelques petites différences dans la mise en page ; cette fois, l´article ne se trouve plus dans la rubrique France Politique, mais France Société. Quant à la photo, représentant le dynamique ministre poussant la porte de son bureau de la Place Beauvau, portable collé à l´oreille, démarche sûre et pointe de chaussure alerte, elle est légèrement dorée alors que la version de la veille était voilée de rose. Changement d´humeur, de prise de parti ?’
Notre lectrice, amusée, s´interroge : ‘Que doit-on lire dans ce bégaiement de l´information ? Une erreur informatique ou informative ? Un copier-coller mal placé ? Un acte manqué ? Une farce ou un jeu ? Un test pour vérifier que les abonnés lisent bien leur journal tous les jours ? Cette redondance révélerait-elle un retour du refoulé, une ‘inquiétante étrangeté’ toujours repérable, selon Freud, dans la répétition ou la figure du double ?’
Rien de tout cela, bien entendu. Mercredi 7 septembre, la diffusion du Monde a été perturbée par un mouvement social au sein d´une société chargée de distribuer la presse à Paris. L´imprimerie du journal ayant été partiellement bloquée, une grande partie des exemplaires n´a pu arriver dans les kiosques. Les abonnés, en revanche, ont été servis. Concrètement, seuls 40 % des lecteurs ont eu ce numéro entre les mains. On n´a pas voulu priver les autres de quelques textes importants qui y figuraient : en particulier l´interview de Nicolas Sarkozy, ou le deuxième volet de la série sur le pétrole, sans lequel l´épisode suivant aurait été incompréhensible. Mais il a fallu actualiser certains articles, ce qui donnait l´impression de les resservir sous un autre emballage.
Ne sachant rien de tout cela, Yves et Catherine Billoët (courriel) attendaient des excuses, ou au moins des explications. Même attente déçue de Bernard Garrigues, abonné de longue date : ‘Rien, que dalle !’
Le Monde ne s´est pas expliqué sur ces doublons le lendemain, pour la bonne raison qu´il l´avait fait… le jour même. En effet, un avis figurait dans le numéro daté 9 septembre : ‘La distribution du Monde, mercredi 7 septembre, et des autres quotidiens nationaux et des magazines, jeudi 8, a été fortement perturbée par un conflit au sein du Syndicat du Livre des NMPP. Nous prions nos lecteurs de nous en excuser et republions quelques éléments de notre édition d´hier.’
Ce texte a échappé à beaucoup de monde. Par exemple, Marc Chenetier (Paris), qui nous a envoyé successivement quatre courriels, à mesure qu´il avançait dans la lecture du journal.
16 h 16 : ‘Décidément, Katrina vous porte la poisse : le texte de la p. 2 publié aujourd´hui est le même que celui publié hier au même endroit. Quelqu´un a dû se perdre dans les bayous…’
16 h 35 : ‘Ces répétitions de publication promeuvent un sentiment de calme dans l´actualité qui fait du bien à l´âme… Continuez d´arrêter le temps !’
16 h 38 : ‘Donnez-nous des pages blanches : on collera les articles d´hier ! ‘
17 h 03 : ‘Votre avis aux lecteurs vient de me tomber sous les yeux. N´empêche, la pratique est déconcertante pour les lecteurs fidèles. Autant pour moi.’
Le texte était-il assez visible ? Oui : il figurait en première page, encadré d´un filet bleu. Etait-il suffisant ? Apparemment pas : des lecteurs l´ont vu et même lu, mais en diagonale, sans prêter attention aux derniers mots. Pierre Delacroix, abonné bordelais, à qui j´avais écrit après sa protestation, me répond dans un deuxième courrier : ‘Chaussant mes lunettes grossissantes, je me suis précipité sur Le Monde du 9 septembre, pour découvrir cet avis que j´avais ignoré. Il fallait avoir vraiment de bons yeux pour lire la dernière ligne de ce gigantesque encart ‘A nos lecteurs’ ¬ de 4,3 sur 4,6 cm ! ¬ titré sur ‘la distribution perturbée’, ce qui n´incitait pas forcément à aller jusqu´à l´antépénultième ligne évoquant pudiquement la réplication de ‘quelques éléments’ de l´édition précédente… Bon, on veut bien pardonner, mais n´y revenez pas !’’