‘Que font les Français ? Ils regardent la télévision. Trois heures et 26 minutes en moyenne par jour et par personne, si l’on en croit les derniers chiffres de Médiamétrie.
Des lecteurs du Monde sont bien au- dessous de la moyenne : le temps qu’ils passent quotidiennement devant le petit écran est de zéro seconde. ‘Je n’ai pas la télévision et je m’en porte très bien’, nous fait savoir Bernadette Birot, d’Arles (Bouches-du-Rhône). Elle écoute en revanche la radio, qui la satisfait largement, et s’étonne que le journal y consacre si peu de place.
Depuis le 7 novembre 2005, la nouvelle formule du Monde a eu pour effet de réduire encore la taille des grilles. ‘Bravo d’avoir exclu du quotidien les programmes de France-Inter, France-Culture et France-Musique. Et merci d’avoir conservé ceux de TF1, M6, câble et satellites !’, ironise Catherine Dreyfus (Paris).
Nos lecteurs auditeurs sont tout aussi sévères pour la nouvelle présentation du supplément hebdomadaire, dans lequel le thème des émissions de radio n’est plus toujours indiqué. ‘Des programmes télé, il y en a plein les kiosques ! remarque Jean-Yves Caro, de Châteauponsac (Haute-Vienne). Le Monde marquerait sa différence en publiant un véritable programme radio.’
Si encore tous les lecteurs téléspectateurs étaient satisfaits… Il y a ceux, comme Jean-Paul Cougny (courriel), qui trouvent ‘très insuffisante la place accordée dans le quotidien aux nouvelles chaînes de la TNT’. Et ceux, comme Hubert Marchal, d’Asnières (Hauts-de-Seine), qui regrettent que les grilles des six chaînes hertziennes (TF1, France 2, France 3, Canal+, France 5/Arte et M6) ne commencent désormais qu’à partir de 20 heures. Résultat : la 5, dont les émissions s’arrêtent en début de soirée pour céder la place à Arte, a disparu du quotidien.
Difficile de satisfaire les uns sans déplaire aux autres… Le problème est simple : il faut, à la fois, s’adapter à une offre grandissante — les chaînes de télévision se multiplient — et rester lisible. Avec cette difficulté supplémentaire que Le Monde est un journal de l’après-midi, lu le lendemain dans de nombreuses villes, et qu’il doit donc publier chaque jour deux programmes au lieu d’un.
Pour plus de détails, le lecteur peut toujours se reporter au supplément hebdomadaire, distribué gratuitement avec le numéro du week-end. Des abonnés de province protestent parce qu’ils ne le reçoivent que le lundi matin : ils aimeraient l’avoir entre les mains la veille pour ‘préparer’ leur semaine.
D’autres lui reprochent de ne pas être assez lisible. ‘C’est la cata, écrit Maurice Jastrzeb (Paris). Supprimez d’urgence les fonds gris. Vous économiserez de l’encre et épargnerez les yeux de vos lecteurs.’ D’autres encore le trouvent incomplet… Le supplément du Monde donne tous les programmes des six chaînes principales et les soirées d’une cinquantaine d’autres. Pour être complet, il devrait ressembler à un catalogue de vente par correspondance.
Ne pouvant être exhaustif, Le Monde a choisi d’être prescripteur : la page quotidienne sélectionne et présente chaque jour trois émissions de télévision et trois de radio. Le supplément, lui, publie des avant-papiers, des portraits ou des dossiers, mettant l’accent sur des diffusions particulières ou soulignant une tendance significative (cette semaine, par exemple, la place occupée par la police scientifique dans les nouveaux thrillers).
La prescription n’est pas le rôle de la chronique de télévision qui figure chaque jour en sandwich entre les programmes. Dominique Dhombres y rend compte de ce qu’il a vu la veille en même temps que les téléspectateurs. Mais il écrit aussi pour ceux qui auraient manqué l’émission, le film ou le documentaire en question.
Cette chronique existe dans Le Monde depuis le 8 février 1950. Son premier auteur était Michel Droit, mais le petit écran balbutiait encore, et l’austère journal de la rue des Italiens s’en approchait avec des pincettes : à peine trois ou quatre articles par mois lui étaient consacrés. Devenue quotidienne par la suite, la chronique télévision a vu se succéder quelques-unes des meilleures plumes du Monde : Jannick Arbois, Jacques Siclier, Claude Sarraute, Pierre Georges, Daniel Schneidermann, Agathe Logeart, Alain Rollat, Luc Rosenzweig…
C’est le 2 septembre 2001, quelques jours avant les attentats de New York, que Dominique Dhombres a pris la relève. Autant dire qu’il a très vite adopté un ton grave. Mais pour se rattraper largement par la suite… Rien ne l’enchante davantage que d’épingler le ridicule. Des lecteurs protestent parfois, jugeant qu’il est injuste ou pousse le bouchon un peu loin. Récemment, une lectrice de Saint-Félicien (Ardèche), Dominique Dornier, l’encourageait au contraire à ‘y aller franchement’ pour fusiller certains animateurs de télévision qui, ‘sous couvert d’étude sociologique, flattent les bas instincts et entretiennent un sens pathologique de l’exhibitionnisme’. Elle invitait notre homme à ‘prendre les mots pour le dire, comme on prend les armes, en bon guérillero’.
Dominique Dhombres n’avait pas besoin de tels encouragements. Sa plume griffe naturellement, mais il ne se considère pas pour autant comme un redresseur de torts. ‘J’écris, dit-il, un billet d’humeur, et parfois d’humour, en forçant un peu le trait, à la manière d’un caricaturiste.’
Au début des années 1950, Michel Droit n’était que pigiste au Monde tout en travaillant à la Radiodiffusion-télévision française (RTF). Il a abandonné sa fonction de critique pour devenir… présentateur du journal télévisé. A l’époque, certains rédacteurs du quotidien s’opposaient à la publication du programme de l’unique chaîne, y voyant un concurrent potentiel. Ils n’avaient pas tout à fait tort…
Contrairement à ce qu’on supposait, la télévision n’a pas tué la radio : celle-ci a su conserver un public attentif, qui tend l’oreille et retient ce qu’il écoute. En revanche, la presse écrite quotidienne a été de plus en plus affectée par le petit écran, avant de l’être par Internet, qui a effacé les frontières entre texte, son et image.
Depuis 1950, tout a changé, et pas seulement le regard que Le Monde porte sur la télévision. L’audiovisuel a influencé l’aspect du journal et son style, mais aussi une bonne partie de son lectorat, qui a pris de nouvelles habitudes. Le zapping ne se limite plus à la boîte à images : c’est devenu une manière de vivre. Faire un kilomètre à pied par tous les temps pour acheter son quotidien semble appartenir à un autre siècle : on attend qu’il soit livré à domicile, dans la boîte aux lettres ou sur l’écran. Tout doit être à portée de main, de télécommande ou de souris.’