“Il arrive aux journalistes du Monde de commettre des erreurs. La règle est alors de publier un rectificatif dans les plus brefs délais. C´est ce qu´avait fait Hélène Viala, en avril dernier, après avoir attribué l´invention du néologisme ‘abracadabrantesque’ à Jacques Chirac et s´être attiré les protestations de nombreux lecteurs. Rendant à César ce qui est à César, le rectificatif citait Le Cœur volé d´Arthur Rimbaud :
Prenez mon coeur, qu´il soit lavé!
Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs quolibets l´ont dépravé!
Mais l´article vient d´être reproduit – avec la faute initiale – dans un supplément spécial du Monde, destiné à gagner de nouveaux abonnés. Et nous voilà de nouveau assaillis de courrier. ‘Vous nous vantez la fiabilité de vos informations, écrit Paul Nyzam (Paris). Encore faut-il que la rigueur que vous invoquez soit effective…’
Un rectificatif n´efface malheureusement pas l´erreur commise. C´est l´article qui retient l´attention, et non les trois ou quatre lignes venues le corriger, plusieurs jours plus tard.
Des lecteurs doutent de l´utilité du procédé. ‘Je suis frappé par l´augmentation du nombre des rectificatifs et, parallèlement, par leur inefficacité globale, m´écrivait il y a quelque temps Hubert Néant, de Montrouge (Hauts-de-Seine). Bien souvent, le rectificatif n´est qu´une simple marque de bonne volonté, sans rapport avec l´impact du texte initial.’
Yves Lamache, de Diélette (Manche), affirme lire ‘toujours avec intérêt’ les rectificatifs du Monde, mais il est frappé de leur hétérogénéité. ‘Vous corrigez sans distinction de simples fautes de frappe (‘Il fallait lire tontons flingueurs et non flingeurs’) et des erreurs beaucoup plus graves.’
En juin, juillet et août, Le Monde a publié 102 ‘rectificatifs et précisions’. Ils n´étaient pas tous, en effet, de la même importance, malgré une présentation similaire.
On a appris ainsi (3 juillet) que le numéro de téléphone indiqué pour se procurer un mini-lave-linge à ultrasons n´était pas le bon. Il n´y avait pas de raison non plus de laisser croire aux lecteurs que le créateur de la chanson Lucille, interprétée par Johnny Hallyday, était Chuck Berry, alors qu´il s´agit de Little Richard (9 août).
Plus grave : des guillemets mal placés ont attribué à la conservatrice de la galerie Tretiakov, à Moscou, un jugement très sévère sur le Musée de l´Ermitage qui était en fait de l´auteur de l´article (12 août). Encore plus embarrassant, cette fois à propos de la République d´Irlande, il a fallu préciser que ‘Mme Moira Geoghegan-Quinn n´était pas l´ancienne maîtresse de Charles Haughey, mais l´un de ses anciens ministres’ (21 juin). Le Monde lui a présenté ses excuses.
Des chiffres inexacts doivent toujours être rectifiés, mais ils n´ont pas tous la même importance. L´omission malencontreuse d´une virgule a conduit par exemple à évaluer la compagnie brésilienne Petrobras à 771 milliards d´euros, alors qu´elle ne fait ‘que’ 77,1 milliards. Mais on a pu lire aussi dans Le Monde du 22 août ce rectificatif : ‘Le nombre de civils tués par l´armée israélienne dans la bande de Gaza depuis la capture du caporal israélien Shalit le 25 juin n´est pas ‘une vingtaine’, comme écrit par erreur dans l´éditorial du journal daté du 15 août. Selon l´organisation israélienne de défense des droits de l´homme B´Tselem, durant le seul mois de juillet, 163 Palestiniens ont été tués dans la bande de Gaza, dont 78 civils et notamment 33 enfants.’
Dans l´idéal, la rubrique Rectificatifs ne devrait pas exister. Vérifier ses informations est la règle numéro un des journalistes du Monde. Chacun sait cependant que des erreurs sont inévitables dans un quotidien qui compte de nombreux textes et dont une bonne partie est réalisée dans l´urgence.
Il est rare qu´une erreur commise ne soit pas immédiatement signalée par un ou plusieurs lecteurs. Mais on ne peut pas tout rectifier : cela occuperait trop de place et dévaluerait l´exercice par un excès de précisions anodines.
Le problème – dans la presse en général, et pas seulement au Monde – est qu´une catégorie importante d´erreurs n´est jamais rectifiée clairement : l´analyse ou le commentaire erronés d´un événement ne sont pas sanctionnés. On se contente généralement d´une correction de tir, un peu plus tard, sans aucune mention de l´erreur précédente. C´est l´un des grands privilèges des journalistes (alors que les responsables politiques peuvent traîner toute leur vie une petite phrase malheureuse). C´est aussi l´une des raisons du manque de crédibilité des médias…
Revenons à cet été. Des lecteurs se sont frotté les yeux en lisant dans Le Monde du 19 juillet la ‘précision’ suivante : ‘A la suite de la publication, dans la série ‘Grandes affaires’, de l´article ‘Le triple crime de Lurs’ (Le Monde du 13 juillet) signé Christian Colombani, l´auteur nous demande de préciser qu´il ne peut accepter la paternité de ce texte entièrement réorienté sur le fond et remanié dans la forme.’
Qu´était-ce à dire ? ‘Cette précision manque de… précision, nous a écrit François Gross, de Fribourg (Suisse). L´incident est de nature à éveiller le doute chez ceux qui ont depuis longtemps fait de votre journal leur pain quotidien en matière d´information.’ Et Françoise Beauvois, de Bondy (Seine-Saint-Denis) : ‘Comment est-il possible de publier un texte sous la signature de quelqu´un qui n´en est pas l´auteur ?’
Journaliste chevronné, ayant pris depuis peu sa retraite du Monde, Christian Colombani avait été sollicité, en raison de ses compétences et de son talent d´écriture, pour raconter le triple crime de Lurs, plus connu sous le nom d´affaire Dominici. Son article a été relu, comme il est de règle, notamment pour le ramener à la longueur fixée dans la page et y apporter des compléments. Mais il a été aussi profondément modifié, dans le fond et dans la forme.
‘Le crime de Lurs, un demi-siècle plus tard, n´a toujours pas épuisé son mystère, lit-on dans l´article publié, et Jean Giono lui-même n´a jamais considéré que la preuve de la culpabilité avait été apportée.’ Alors que, pour Christian Colombani, ‘l´affaire est jugée depuis plus de cinquante ans’, malgré le doute semé par un ‘homme rusé, intelligent, joueur, commediante tragediante, qui fit toute une ‘affaire’ d´un crime banal, commis sans doute sous l´effet de la boisson’.
D´autres modifications aussi importantes exigeaient que l´auteur soit informé et donne son accord. Ce qui n´a pas été fait. Indiscutablement, une faute a été commise.”