Sunday, 24 de November de 2024 ISSN 1519-7670 - Ano 24 - nº 1315

Robert Solé

“Nombre d’abonnés du Monde ne reçoivent le numéro du week-end que le lundi matin. C’est le cas de Jacques Merle, qui réside à Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis). Ouvrant le journal daté 1er-2 octobre, il découvre un gros titre barrant la ‘une’ : ‘Lula est sûr de rester au pouvoir.’ En page 4, un autre titre précise cette information : ‘Le président Lula en passe d’être réélu au premier tour.’

Notre lecteur se demande s’il est bien réveillé. La radio ne lui a-t-elle pas annoncé de bon matin que le chef de l’Etat brésilien était en ballottage et que les électeurs devraient retourner aux urnes le 29 octobre ?

Dans Le Monde du lendemain, à la ‘une’, pas un mot sur le Brésil. Ni titre ni appel. En page 6, Jacques Merle lit : ‘L’opposition contraint le président brésilien Lula à un second tour à l’issue incertaine.’ Et, en sous-titre : ‘Un ultime sursaut des électeurs accorde à l’opposant Geraldo Alckmin et à son Parti social-démocrate (PSDB) un score qu’aucun institut de sondage n’avait prévu.’

Notre lecteur, mécontent, écrit alors au médiateur : ‘En quelques heures, Le Monde passe d’une certitude pour le premier tour à une incertitude pour le second. Je cherche vainement un encadré pour regretter cette ‘erreur’. Rien. Puisque l’erreur vient toujours des seuls instituts de sondage, pourquoi Le Monde persiste-t-il à se laisser influencer par des sources aussi peu fiables ? Les leçons ne servent donc à rien ?’

Tout seul, le titre de première page (‘Lula est sûr de rester au pouvoir’) pouvait encore tenir la route. On le saura le 29 octobre. Mais le titre de la page 4, beaucoup plus catégorique, rendait l’ensemble inexact. Et cela conduisait certains lecteurs à interpréter une imprudence comme un acte politique. ‘Le désir patent d’une partie de la rédaction de voir Lula da Silva se succéder à lui-même à la présidence du Brésil, affirme Jean-Pierre Boureau, de Cholet (Maine-et-Loire), a fait répéter les mêmes erreurs journalistiques que lors des élections italiennes entre Romano Prodi et Silvio Berlusconi. Ne sortez donc pas du journalisme pour vous aventurer vers le militantisme qui vous fait écrire de grosses bêtises.’

Florent Le Bourdonnec, de Landerneau (Finistère), nous rappelle que, ‘jusqu’à preuve du contraire, une élection est jouée quand les électeurs ont voté, pas avant’. Notant qu’une photo de Ségolène Royal figurait en première page du même numéro, il ajoute : ‘Souhaitons pour elle que cela ne lui porte pas la poisse, mais si, contrairement à ce que nous disent les sondages (et pourquoi pas finalement ?), elle échouait, alors cette ‘une’ deviendrait objet de collection !’

La veille, Ségolène Royal avait annoncé sa candidature à la candidature socialiste. Dominique Strauss-Kahn aussi. Or les deux concurrents n’avaient pas droit au même traitement dans Le Monde.

Jacqueline Feldman (courriel) s’est étonnée de voir deux photos en couleurs de ‘la favorite des médias’ et pas une seule de l’ancien ministre des finances. ‘N’en faites-vous pas un peu trop ?, demande-t-elle. S’agit-il d’un soutien à la candidate ou bien d’une soumission aux habitudes médiatiques ? DSK, qui s’était également déclaré la veille, est-il moins photogénique ?’

On peut répondre que Dominique Strauss-Kahn avait confirmé sa candidature en petit comité, à Sarcelles, alors que Ségolène Royal l’avait fait de manière beaucoup plus officielle, à Vitrolles, devant 1 800 personnes. Et ajouter que le deuxième événement, survenu dans la soirée, était plus ‘frais’ que le premier, qui avait eu lieu le matin.

Mais ces explications ne suffiront pas à convaincre un lecteur comme Gilles-Daniel Percet (Angers). Indépendamment de la grande photo de la candidate en première page, il a mesuré les différents éléments de la page 7 : ‘Soyons précis : 95 lignes et l’équivalent de 96 lignes pour la photo, soit 191 lignes pour Ségo… contre 14 lignes pour DSK. En l’occurrence, la rédaction politique du monde a donc voté à 92,67 % pour elle contre 7,33 % pour lui. La différence ne s’explique pas par une raison matérielle (manque de temps) car, dans la journée, la déclaration de Ségolène était nettement postérieure à celle de DSK. Lequel n’a droit, d’ailleurs, à aucune session de rattrapage le lendemain, dans votre édition du 3 octobre où, page 12, c’est la déclaration Fabius qui apparaît, en 80 lignes et une photo (en noir et blanc seulement, lui).’

Abandonnant sa calculette, Gilles-Daniel Percet émet une protestation plus générale : ‘Sarko et Ségo candidats des médias – dont mon quotidien préféré – jusqu’à l’écoeurement. Ce bourrage de crâne devient vraiment insupportable.’

Il faut savoir que tous les lecteurs n’observent pas les choses du même oeil. Un dessin de Plantu, dans Le Monde du 30 septembre, après le retrait de Lionel Jospin, a donné lieu à des interprétations exactement opposées. On y voyait la favorite des sondages sur des échasses en forme de couteaux pointus, dominant les autres candidats socialistes. Et le pauvre Jospin à terre, transpercé…

Pour Christian Bourdel, de Castelnau-le-Lez (Hérault), ‘ce dessin fait apparaître une Ségolène Royal triomphante, dominant les autres candidats réduits à une taille lilliputienne’. C’est, aux yeux de ce lecteur, une preuve supplémentaire de l’engagement ‘royaliste’ du Monde, qui ‘se polarise sur les sondages, les impressions, les images médiatiques, dont il alimente puissamment la noria’.

Jean-Pierre Daliès (courriel) s’offusque au contraire de ce dessin ‘malhonnête’, qui représente ‘Mme Royal en train de poignarder ses concurrents, alors qu’elle est la seule candidate à s’interdire toute critique à leur encontre’. Il ajoute : ‘Votre rédaction en général et votre dessinateur Plantu en particulier ont parfaitement le droit d’être hostiles à Mme Royal, même s’ils se conforment ainsi à l’attitude générale de la presse. Mais il serait plus convenable que cette hostilité s’appuie sur des arguments de fond plutôt que sur des futilités, des impressions et, ce qui est plus grave encore, des contre-vérités.’

Juger les positions présumées du Monde à travers les dessins de Plantu me paraît assez périlleux. S’il y a un électron libre au journal, c’est bien ce provocateur, qui ne ménage aucun candidat, de gauche ou de droite. Cela dit, ce n’est pas parce que des lecteurs interprètent de manière opposée un dessin, un titre ou un article que Le Monde peut se prévaloir d’être non partisan. La route est encore longue jusqu’au printemps. Le journal essuiera d’ici là beaucoup de critiques, de toutes parts, et aura beaucoup d’occasions de démontrer son indépendance.”